Le nouveau livre du journaliste Jean-François Lépine, Sur la ligne de feu, est de ceux où l'on plonge, fasciné, pour en ressortir en se demandant: «Et moi, qu'ai-je fait pendant les 40 dernières années?»

Tout semble pâle à côté de la richissime carrière de cet ancien correspondant à l'étranger et animateur de Radio-Canada, spécialiste des questions internationales, que l'on a vu au Téléjournal, au Point, à Une heure sur terre ou Zone libre... De la réouverture de la porte de Brandebourg après la chute du mur de Berlin à la transformation du régime communiste chinois post-Mao, en passant par la guerre du Liban, la chute du dictateur Ferdinand Marcos aux Philippines ou la fin de l'apartheid, Lépine semble avoir été tout simplement partout depuis 35 ans. «Dans le fond, j'ai couvert les changements qui ont façonné le XXIe siècle», note-t-il en entrevue.

Pendant plus de 40 ans au service des nouvelles de Radio-Canada, d'abord à la radio puis à la télévision, en français et en anglais, le fan de Tintin est allé au bout de sa passion.

Personne n'envie toutefois le moteur qui a nourri ce désir de ne passer à côté de rien et de foncer dans une vie professionnelle sans compromis: la mort de son frère Gilles, dont il parle pour la première fois publiquement dans ce nouvel ouvrage. «Le suicide de mon frère m'a convaincu plus que tout qu'il était important que je réalise mes rêves», écrit-il.

Je rencontre Lépine chez Sumac, une nouvelle adresse moyen-orientale de Saint-Henri, près du marché Atwater. D'entrée de jeu, il m'explique que dans tout le Moyen-Orient, c'est au Liban qu'est la meilleure cuisine et que sinon il faut aller jusqu'au Maghreb, en Tunisie ou au Maroc, pour retrouver cette finesse dans les tajines, notamment. Aime-t-il les vins de la vallée de la Bekaa, cette région libanaise connue pour ses crus?

«Oui, mais il ne fallait pas aller là, il y avait beaucoup d'enlèvements de journalistes», se rappelle-t-il de cette époque où il était correspondant dans la région, installé à Jérusalem. «Le Hezbollah...»

Rapidement, la conversation prend le chemin de la Chine, des mythes sur les difficultés de travailler comme journaliste là-bas - «Prenez un visa de touriste!» Il y a été correspondant pendant quatre ans, parle encore le mandarin et estime que c'est une des sociétés les plus fascinantes à couvrir comme reporter. De là, il a rayonné partout en Asie, pour couvrir notamment les Khmers rouges dans le maquis au Cambodge, voyage risqué dont il a rapporté des images saisissantes.

Lépine est intarissable d'anecdotes, de récits, peu importe de quel coin de la planète on parle. Il a vu les curés catholiques se faire littéralement les gardes du corps de Lech Walesa, en Pologne, alors que le leader syndical commençait à ébranler les colonnes du temple communiste avec l'appui du Vatican. Il a vu le corps de l'ayatollah Khomeiny tomber de son cercueil, nu, parce que la foule s'agitait trop à ses funérailles.

Il se rappelle avoir raté les premières brèches dans le mur de Berlin, en 1989, parce qu'il était à Jérusalem, cloué au lit avec une jambe déchiquetée par une balle de plastique israélienne tirée à bout portant. «La direction m'a appelé dans mon lit pour me demander si ça me dérangeait qu'on envoie toute mon équipe à Berlin. J'étais tellement déçu de ne pas partir avec eux!»

Mais il s'est repris ensuite en allant passer Noël dans la capitale allemande, le premier après la chute du mur, celui où la porte de Brandebourg entre l'est et l'ouest, symbolique à souhait, cimentée par le communisme, a été finalement rouverte au son d'une Ode à la joie symphonique dirigée par Leonard Bernstein!

Même s'il n'est plus là depuis plus d'un an, il est difficile de penser à Radio-Canada, surtout aux nouvelles internationales, politiques, sans Lépine en ondes comme avant - surtout si vous l'avez vu hier soir cuisiner efficacement Justin Trudeau à Tout le monde en parle, où ils étaient tous les deux invités - et de savoir que maintenant, son expertise sur les questions internationales est réservée à l'entreprise privée. Mais après la fin d'Une heure sur terre, dernière émission qu'il a animée à Radio-Canada, et son échec à prendre la tête du service français de la SRC - il raconte cet épisode dans le livre sans ménager les dirigeants encore en place -, le changement de cap s'est imposé. Lépine a pris le chemin de la consultation. «J'essaie ça, on va voir.» Lépine travaille maintenant pour Avistra, une société qui explique la scène internationale aux entreprises qui veulent y faire des affaires. Il y est associé, spécialiste en communications et affaires gouvernementales.

Marié à la comédienne Mireille Deyglun, père de deux enfants aujourd'hui jeunes adultes, dont une fille, Sophie, accro comme lui au voyage, âgé de 65 ans, Lépine n'avait pas envie de s'arrêter. Il reste discret sur son nouvel agenda, mais les voyages en terres lointaines sont encore et toujours à l'horizon.

Biographie

> 65 ans

> Journaliste à Radio-Canada pendant 42 ans.

> A été correspondant à Pékin, à Paris et à Jérusalem.

> Parle français, anglais, mandarin, espagnol. Et conseille à tous les aspirants journalistes d'apprendre le plus de langues possible. L'anglais est primordial, mais souvent il ne suffit pas.

> A couvert une foule d'événements historiques comme la chute de Marcos, l'assassinat d'Indira Ghandi, la fin de l'apartheid, le conflit israélo-palestinien...

> La pire tragédie? Le tremblement de terre en Haïti. «Quand nous sommes arrivés, on entendait encore les mourants gémir sous les décombres sans qu'on puisse les aider.»

> Parle plus souvent au «nous» qu'au «je». En télé, tout se passe en équipe.

> Père de deux enfants, admet n'avoir jamais pris une journée de congé de paternité.

> N'a aucune idée de qui est Kim Kardashian.