J'arrive au Ritz et dans le lobby de l'hôtel attend Victor Goldbloom, ancien ministre et personnage totalement émérite de la société québécoise. Ce n'est pas lui que je vais rencontrer, mais nous allons au même restaurant. Le genre de restaurant où mangent les sénateurs, les politiciens, les leaders d'affaires et les personnages émérites. La Maison Boulud. Au Ritz.

Dans la cuisine, j'aperçois Daniel Boulud qui parle avec son chef de cuisine, Riccardo Bertolino, celui qui pilote les fourneaux de cet établissement ouvert il y a deux ans cet été. Boulud, le chef-restaurateur étoile qui a fait son nom au Cirque à New York dans les années 80 avant de se lancer à son compte à Manhattan puis à travers le monde, pour créer tout un réseau de restaurants de Singapour à Las Vegas, en passant bientôt par Boston et Washington, n'est pas à Montréal en tout temps, vous le comprendrez, pour veiller sur la maison qui porte son nom. Mais ce n'est pas rarissime de le voir à l'oeuvre ici non plus. «C'est tellement facile de venir ici de New York», dit-il un peu plus tard, attablé devant un immense et spectaculaire aïoli. «J'essaie de venir tous les trois mois.»

Daniel Boulud a été le premier et demeure le seul chef de renommée internationale, chef étoile, à s'installer dans la métropole. Il y a deux ans, le Britannique Gordon Ramsay a tenté l'aventure, mais le tout s'est soldé par un solide échec. Ne reste que Boulud, dont le restaurant semble bien fonctionner. Le midi, les gens d'affaires ont l'air d'apprécier le style classique et accessible de la cuisine, toujours ancrée dans des ingrédients d'ici, mais résolument française. Le soir, on aperçoit souvent des touristes, des couples en tête à tête... La machine semble bien rouler, alors qu'à Toronto, ce n'est pas nécessairement le cas et le restaurant se lance déjà dans des rénovations.

«Nous sommes bien ici avec le Ritz», note Boulud, qui ne croit pas qu'il aurait investi le marché de la restauration montréalaise, n'eût été la proposition de l'hôtel, dont la marque se marie bien avec celle du chef franco-new-yorkais. «Et il n'y a pas une semaine maintenant où je ne vois pas un client de Montréal dans un de mes restaurants de New York. Il y a vraiment beaucoup de va-et-vient entre ces deux villes.»

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«Vous avez entendu parler de mes poulets», lance-t-il alors que j'arrête de poser des questions pour croquer dans un escargot de mer et quelques carottes que je trempe dans un aïoli exquis. Je cherche un peu. Oui, je m'en souviens. La grande Ariane Daguin m'en avait parlé.

La distributrice de viandes et charcuteries haut de gamme new-yorkaise, la patronne de la société D'Artagnan, a établi un système avec plusieurs restaurants pour apporter les épluchures nobles de leurs grandes cuisines à son éleveur de poulets afin que les poulets vendus à ces restaurants - de grandes tables comme Daniel, Jean-Georges, Bernardin, etc. - soient nourris des épluchures provenant de ces restaurants. Daguin doit de toute façon faire l'aller-retour entre la ferme et les restos pour leur livraison, elle ne fait que rapporter de la nourriture à poule, en retournant chercher les poulets du lendemain...

«On a rigolé, explique Boulud, parce qu'à un moment, on s'est rendu compte que les poulets allaient manger les épluchures du restaurant voisin...» Ils ont dû être isolés efficacement les uns des autres. Mais Boulud, qui travaillait depuis longtemps avec Daguin, est ravi du résultat. «C'est une belle expérience.»

Au Québec, il veut tout savoir des expériences et projets de distributeurs alimentaires comme la Société Orignal, qui veulent rendre plus nature, plus écologiquement logique, plus culturellement riche, l'approvisionnement des restaurants. Je lui parle de leur projet de commercialisation de prises secondaires, à la pêche. «Ah oui, ça m'intéresse, je veux savoir à quel poisson ça donne accès, au Japon, c'est fou tout ce qu'on peut manger grâce à ça. Que du by-catch.»

On peut parler pendant des heures d'agroalimentaire avec Daniel Boulud. Il s'intéresse réellement sérieusement à l'origine des produits. Et au Québec, il cherche sans cesse de nouveaux fournisseurs.

Et il cherche sans cesse des façons de créer des équipes d'achats avec d'autres restaurateurs pour dénicher des produits que personne ne commercialisera si les grands restaurants ne l'exigent pas. L'an dernier, Boulud m'a envoyé sur Twitter une photo d'un thon rouge pêché à la ligne en Gaspésie qui ne serait jamais arrivé dans ses assiettes ni dans celles du Toqué! ou de la Brasserie T! ou de Joe Beef si tous ces acteurs n'avaient pas demandé collectivement de faire venir tout le poisson à Montréal. Charles-Antoine Crète, du Toqué! , s'était rendu sur place...

Boulud a beau avoir des restaurants à travers le monde, pour cet aspect du travail, il répond présent.

Quand je lui demande ce qu'il lit ou regarde à la télé par les temps qui courent, il me répond «pas grand temps». Il vient d'avoir un bébé! Un bébé de 4 mois, Julien, après une fille, Alix, qui est aujourd'hui dans la jeune vingtaine.

Un second mariage et un petit personnage dont il montre fièrement les photos. «Ça, dit-il, ça, c'est un vrai délice.»

Daniel Boulud

> 59 ans

> A commencé à travailler en cuisine à l'âge de 15 ans.

> Originaire de la région de Lyon.

> S'est fait connaître comme chef au restaurant Le Cirque avant de partir pour fonder son propre restaurant, Daniel, en 1993.

> Aujourd'hui, il chapeaute ou s'apprête à piloter 14 établissements - restaurants, bistros, épiceries -, dont un restaurant à venir à Boston, un autre à Washington. Retour à Vegas prévu. Singapour, Palm Beach, Montréal, Toronto, plusieurs à New York.

> Ne dit pas non à l'idée de s'installer à Paris, mais dans le mode «casual», donc convivial. «Oh, et puis je suis encore heureux de pouvoir aller dans des villes où je n'ai pas d'établissement.»

> Vient d'avoir un bébé, Julien, 4 mois. A aussi une fille, Alix, dans la vingtaine.