Ce n'est pas souvent que les personnes que j'interviewe me font pleurer. Mais c'est arrivé cette semaine.

Stupéfiée par la mort de la mairesse de La Prairie, piquée par des guêpes, j'ai appelé Georges Brossard, l'hyper chasseur d'insectes qui a donné une partie de sa collection pour fonder l'Insectarium de Montréal, ancien notaire rentier, fils du fondateur de la ville de Brossard et redoutable raconteur d'histoires.

Je pensais parler longuement avec lui des dangers posés par les insectes, lui qui connaît ça pour en avoir chassé dans 145 pays. Mais on a très peu abordé le sujet finalement, quand je suis allée retrouver l'homme de 74 ans dans sa spectaculaire demeure du parc du Mont-Saint-Bruno, où il habite avec sa femme depuis 45 ans et qu'il a retapée en s'inspirant d'une maison vue dans un album des Schtroumpfs et du parc Guëll de Gaudí, à Barcelone.

Brossard a préféré me raconter sa vie.

Et je l'ai écouté.

Parfois abasourdie, parfois tordue de rire, fascinée, interloquée. C'est quand est arrivé le chapitre sur la vraie histoire derrière le scénario du film Le Papillon bleu, dont il est le réel personnage interprété par William Hurt, que j'ai été bouleversée.

«Pis là, j'étais à l'ouverture de l'Insectarium et un enfant en fauteuil roulant veut me parler... Je dis aux journalistes de se taire parce que je veux l'écouter. Il me dit qu'il veut attraper un papillon bleu - ça, c'est un morpho - parce qu'il va mourir. Là, j'y sacre une claque sur la jambe. Eille! Veux-tu ben arrêter de dire des affaires de même, que tu vas mourir!»

Le reste de l'histoire réelle est incroyable. Avec le programme Rêves d'enfants, Brossard réussit à emmener le petit garçon, qui est gravement atteint d'un cancer du cerveau, à la chasse au morpho au Mexique. Dans la jungle, il prend le garçon sur ses épaules parce que celui-ci ne peut pas marcher. Mais le petit de 8 ans se remet à marcher pendant qu'ils sont là-bas, une fois le papillon trouvé, et finit par comprendre que son cancer est en train de disparaître. «Il y a une scène qu'ils ont jamais voulu mettre dans le film, c'est quand j'ai lancé son fauteuil roulant en bas d'une falaise. Il est tombé, s'est fracassé, une roue est partie toute seule dans les airs, enfin libre...»

Une superbe image que l'entomologiste autodidacte, mais doté de doctorats honorifiques, n'oubliera jamais. L'enfant, David, aujourd'hui adulte, vit encore.

Georges Brossard est peiné de la mort de la mairesse de La Prairie, Lucie Roussel, tuée par des piqûres de guêpes, mais il trouve que les humains sont les premiers à blâmer quand les insectes frappent. Si on les connaissait mieux, on saurait mieux gérer nos relations avec ces petites bêtes, croit-il.

«Savais-tu que si t'es suivi par des guêpes, la meilleure chose à faire, c'est de se mettre à courir puis de se coucher par terre soudainement? Elles voient pas en bas, elles vont passer tout droit. Si t'es dans la jungle, là, tu t'enfonces dans un fourré. Elles n'aiment pas se faufiler entre les feuilles.»

Brossard, qui a fait carrière comme notaire avant de devenir millionnaire et rentier à 37 ans, est passionné des insectes depuis sa plus tendre enfance. C'est son père cultivateur qui, en lui apprenant à sauver des abeilles de la noyade, lui a donné le goût de les découvrir. Le petit Georges a commencé à attraper toutes sortes de papillons, des scarabées, et a fait sa première exposition au-dessus du garage familial alors qu'il n'avait pas 10 ans. «L'entrée coûtait 5 cents, c'était gratuit pour les filles», raconte-t-il.

Aujourd'hui, Brossard est consultant et donateur pour une douzaine d'insectariums dans le monde. Son sous-sol est rempli de centaines de milliers d'insectes classés méticuleusement, mais comme il part chasser l'insecte six mois par année dans les pays tropicaux et équatoriaux, il en rapporte toujours plus et encore plus... Dans son sous-sol, il garde notamment quelques mygales vivantes - ou était-ce des tarentules? Oublié de le lui demander - et au moins un énorme scorpion vivant, qu'il manipule presque comme si c'était un animal de compagnie. «Là, tu le distrais», dit-il en mettant son doigt devant la redoutable bestiole, «et là, tu le prends par la queue». Et hop, le voilà en train de se laisser photographier avec la mortelle créature.

On connaît l'amour de Brossard pour les insectes, qu'il essaie de nous faire manger depuis 25 ans. «J'en ai mangé dans 100 pays, moi, madame, c'est pas nouveau.» Mais ce qu'on connaît moins, c'est son passé de notaire, des années où il s'est battu pour faciliter l'accès à la propriété en intervenant auprès des caisses populaires au nom de ses clients. On connaît moins son côté romancier. Il a trois oeuvres écrites à la main qu'il entend faire publier. On connaît moins son dernier projet: il a acheté une ferme près de Saint-Basile-le-Grand, où il veut faire un élevage industriel d'insectes pour en faire de la moulée pour les animaux. On connaît moins aussi son engagement auprès de toutes sortes de causes charitables, dont celle de l'Association de la Vallée-du-Richelieu pour les déficients intellectuels. On connaît moins sa nouvelle cause sociale: il veut qu'on crée un parc régional sur la jetée de la Voie maritime, pour que les Montréalais et les résidants de la Rive-Sud aient accès au fleuve, puissent aller y faire des balades, camper, admirer la nature... Et peut-être même chasser des insectes.