Ce n'est pas la présidente de l'Ordre des architectes du Québec, Nathalie Dion, qui dira que tel ou tel projet de construction à Montréal, parmi tous ceux qui sont aujourd'hui en route et font l'objet, ou non, de discussions à la commission Charbonneau, est raté.

Elle doit être au-dessus de tout cela.

Mais insistez un peu et elle répondra «qu'il est vrai que dans certains cas, on n'a pas eu les conditions idéales pour l'architecture de qualité»...

Disons, par exemple, que Mme Dion a été surprise, comme bon nombre d'entre nous, quand elle a appris qu'un stationnement étagé avait été construit derrière le CUSM, le nouveau superhôpital de l'Université McGill qui borde l'autoroute 720, au sud de Notre-Dame-de-Grâce. «L'excellence en architecture, ce n'est pas juste pour les musées...»

On est installées au Mile-Ex, un petit restaurant du quartier éponyme niché à l'est de l'avenue du Parc, entre le Mile End et Parc-Extension, entre Outremont et la Petite-Italie. Entre la salade et le café, on parle du Québec, d'architecture, de la politique nationale d'architecture demandée par l'Ordre, pour que la province construise mieux. (Et à l'heure de la commission Charbonneau, on voit bien qu'il y a une certaine place à l'amélioration autant dans le design que dans la réalisation des projets!)

L'Ordre a demandé aux partis politiques ce qu'ils en pensaient avant les élections. Aucun parti n'a été plus enthousiaste qu'un autre. Là, les libéraux élus sont plutôt silencieux.

«On a écrit à la ministre de la Culture, Hélène David, au sujet de la politique nationale de l'architecture, dit Mme Dion. On attend...»

On parle d'architecture et on parle des préjugés que bien des gens entretiennent envers cette profession qu'ils trouvent élitiste, contrairement au génie, vu si longtemps comme plus terre à terre et aujourd'hui bien malmené par tous les dérapages mis au jour dans les scandales de corruption. «L'architecture, ce n'est pas juste une question de beauté, rappelle Mme Dion. C'est aussi une façon de s'assurer que les projets soient fonctionnels et durables.»

L'architecture, ai-je envie d'ajouter, c'est ce qui ajoute une couche d'intelligence et de cohérence aux constructions. C'est ce qui fait qu'on a envie d'utiliser, de vivre avec ou dans tel ou tel élément bâti. L'esthétisme fait partie de la fonction de la construction parce qu'il ajoute à l'expérience par rapport à la structure. La bonne architecture donne un sens au lieu que l'on aménage. Le sens qu'on choisit de lui donner.

«Et pour qu'il y ait de la bonne architecture, ça prend un bon client», ajoute Mme Dion, qui est elle-même spécialiste de l'architecture liée aux infrastructures de transport. Le client doit bien exprimer ses besoins, doit réagir aux idées proposées par l'architecte pour que le projet aille dans le sens voulu.

Pour les projets publics, que ce soit l'aménagement d'un quartier entier comme Griffintown ou la construction d'un hôpital, les clients sont les citoyens. «Comme citoyens du Québec, on mérite tous une architecture de qualité, donc on doit se faire entendre. La participation citoyenne est importante! Les citoyens doivent être exigeants», rappelle la présidente de l'Ordre.

Mais il y a d'autres choses à corriger. Il faudrait, dit Mme Dion, unifier les façons de faire pour les projets publics. Actuellement, 10 ministères québécois accordent des contrats de construction, et ils procèdent tous de façons différentes.

Aussi, leçon cruciale des dernières années: «Il faut comprendre que le système du plus bas soumissionnaire n'est aucunement un gage de qualité et de transparence», ajoute-t-elle. C'est un système mis en place pour s'assurer que les contribuables ne paient pas démesurément trop pour des projets. Mais en réalité, le système a été détourné et les contribuables se retrouvent avec de mauvais projets payés quand même trop cher.

«En Europe, on choisit les meilleurs projets, pas les moins chers», note-t-elle. L'architecture est vue comme un legs aux générations futures, ce qui intègre nécessairement une notion de durabilité essentielle.

Au Québec, l'architecture a connu de belles années avant-gardistes au moment de l'Expo, puis est arrivée la saga du Stade olympique, qui a littéralement traumatisé la province pour des décennies. Les constructions qui ont suivi ont été enrobées de l'obsession du coût et d'une certaine volonté de discrétion. Comme si le brutalisme ou l'insipidité volontaire cherchaient à faire oublier les excès stylistiques de l'oeuvre de Roger Taillibert.

À l'extérieur de Montréal, difficile de passer à côté de l'exercice mené pendant des années par les caisses populaires, qui demandaient toujours à des architectes contemporains locaux de penser les succursales. Le projet n'a pas donné lieu qu'à des chefs-d'oeuvre, mais selon Mme Dion, il faut saluer l'audace du Mouvement Desjardins. «Tout est discutable, rien ne peut être parfait. Ça aussi, ça fait partie de l'architecture.»