Si jamais vous vous retrouvez dans un univers de gastronomes et que la discussion devient trop tranquille à votre goût, dites «50 Best». Et vous verrez l'énergie monter d'un cran.

Tout le monde saura qu'on parle de la liste des «50 meilleurs restaurants du monde» publiée par le magazine britannique Restaurant et qui a classé cette année le Noma de Copenhague comme numéro un toutes catégories. Tout le monde aura une opinion à ce sujet. Et probablement que tout le monde aura un point de vue passionné sur la chose.

«Comment peut-on dire qu'un restaurant est le meilleur?», demanderont certains.

«Que sait-on des juges et du processus de sélection?», lanceront d'autres, avant de s'énerver sur l'opacité de la procédure de rédaction de la liste en question. (Je suis une des 900 juges, en passant, d'un jury composé de chefs, de restaurateurs et de journalistes.)

«Qui peut vraiment s'offrir tous ces restos? Les juges doivent être achetés par les restaurateurs», hurleront d'autres encore.

Et si vous voulez vraiment faire monter le ton d'un cran, parlez-en à des gastronomes venus de France, où la liste est torpillée.

«Comme tous les ans depuis sa création, en 2002, le classement des 50 meilleures tables au monde par le magazine britannique Restaurant fait débat», écrit sagement L'Express, alors que l'article parle de «buzz» et de «copinage». Gilles Pudlowski, du Point, y va du mot «fumisterie» pour lancer en amorce de son texte «la plus grande chiasse du monde», en référence aux déboires digestifs qu'a connus une soixantaine de clients de Noma, déjà numéro un sur la liste en 2013. «Classement douteux», titre Le Figaro.

Les Français sont furieux. Leurs tables, pourtant exceptionnelles, ne sont pas représentées aussi massivement qu'ils le souhaiteraient et qu'elles le mériteraient sûrement. Le premier restaurant français sur la liste est le Mirazur, à Menton, de l'Argentin d'origine italienne Mauro Colagreco. L'Arpège d'Alain Passard est en 25e place. Le Chateaubriand en 27e, L'Atelier de Joël Robuchon en 31e.

Rencontré à Londres, où a été dévoilée la liste la semaine dernière, le Français Yannick Alléno, ancien du Meurisse, chef du Cheval Blanc à Courchevel, table du groupe LVMH, se demande pourquoi tant de polémique, tant de colère. «La cuisine, ça ne peut pas être politique», dit-il. Pour lui, ce qui compte, c'est d'abord et avant tout la satisfaction du client, et la liste des «50 Best» cherche à sa façon, croit-il, à mesurer le plaisir qu'ont eu les membres du jury en allant manger à ces tables. De la même façon que les guides Michelin et les autres cherchent à mesurer l'expérience du client. Aucune des grilles d'analyse n'est parfaite. «Tout est complémentaire», dit le chef. Pourquoi démolir un système plus qu'un autre? «La polémique, ce n'est bon pour rien.»

La France mérite-t-elle d'être si peu représentée? Peut-être pas. Mais le jeu des «50 Best», encore faut-il le jouer, prendre sa place, créer des réseaux avec les membres du jury, qui sont d'abord et avant tout des gens de l'industrie, bien plus que des journalistes. Or, les Français semblent préférer rester à part...

***

Au Canada, aucune table ne s'est fait une place sur la fameuse liste commanditée par la marque San Pellegrino. Aucune table n'est étoilée par un guide Michelin non plus. Les guides gastronomiques les plus connus ne se rendent simplement jamais jusqu'ici. Aujourd'hui, les Suédois sont bien représentés sur la liste des «50 Best», mais ça n'a pas toujours été le cas. Ils ont réglé le problème en créant leur nouvelle référence, le guide Blanc qui, chaque année, croît en notoriété. Et qui nourrit une compétitivité qui a peut-être aidé les restaurants comme Faviken ou Frantzen à se hisser sur la fameuse liste britannique. Devrait-on faire la même chose au Canada?

Si jamais vous vous retrouvez dans un univers de gastronomes et que la discussion devient trop tranquille à votre goût, dites Michelin et attendez quelques secondes. Et voyez si le ton de la discussion monte d'un cran. Ou si tout le monde lève les yeux au ciel ou cherche à changer de sujet.

Les étoiles sont importantes. Mais parce que leurs critères sont hyper stricts, elles rendent les choix prévisibles. «Dis-moi quelque chose que je ne sais pas déjà», dit-on souvent en journalisme. Exactement. Si Michelin nous rappelle que les restaurants dont on sait et dont on a toujours su qu'ils étaient excellents sont effectivement excellents - ce qui est le cas de beaucoup de restaurants français -, allons-nous, médias, mourir d'envie d'en parler et d'en reparler?

C'est pourquoi la liste parallèle des «bibs gourmands» distribués par Michelin aux petits nouveaux et aux tables de qualité conviviales est devenue, avec les années, presque plus intéressante que la principale.

La liste des 50 meilleurs restaurants du monde n'est pas parfaite, mais c'est un modèle nouveau qui a vu le jour il y a une douzaine d'années dans un univers où le système des étoiles avait besoin de se faire brasser. Et c'est ce qu'il fait.