La fascination des adolescents pour les images pornographiques n'est pas exactement un phénomène moderne.

Mais la rapidité et la facilité avec lesquelles on peut produire et diffuser de telles images sont, elles, des réalités totalement nouvelles.

Des réalités si inédites, si changeantes, si insaisissables, tellement elles évoluent vite, qu'on a l'impression, comme parents, d'être au Far West.

Qui, honnêtement, chez les 35-50 ans avait entendu parler de Snapchat avant l'arrestation mercredi de toute une bande d'ados ayant apparemment détourné la qualité éphémère de cette application pour faire chanter des filles et les obliger à poser pour des photos pornos?

Avouez que nous étions tous, les parents, pas mal plus occupés à découvrir les vertus de Waze - cette application qui nous aide à localiser les bouchons et à traquer les barrages policiers - ou à nous demander pourquoi nos petits ne vont pas plus souvent sur Instagram - réponse: dès que les parents y sont aussi, ils fuient! - qu'à enquêter sur l'utilisation que font les jeunes de ce Snapchat, censé permettre la diffusion, mais aussi l'autodestruction, d'images compromettantes.

Il suffit qu'on comprenne comment fonctionne une application ou un nouveau réseau social pour qu'un autre apparaisse, plus populaire. Les ados comprennent mieux la techno que nous, savent comment passer sous notre radar.

Cela dit, cela n'excuse rien. Nous devons essayer de comprendre, essayer de dépister les dérives.

Quand j'ai lu, comme vous, la nouvelle concernant les arrestations de 10 adolescents de 13 à 15 ans à Laval et les accusations de production, de possession et de distribution de pornographie juvénile portées contre eux, j'ai eu la même réaction que plusieurs d'entre vous: «Mais où étaient les parents?»

Certes, on ne contrôle pas tout ce que nos enfants échangent par internet et il est normal qu'à ces âges-là, on leur laisse de l'espace. Mais il est pétrifiant d'imaginer qu'aucun adulte n'a eu écho des horreurs décrites, ces filles obligées de poser des gestes sexuellement hyper explicites devant la caméra, sous la menace de voir d'autres images d'elles diffusées, images qui devaient s'autodétruire, croyaient-elles, sur Snapchat, mais conservées par saisie d'écran... Troublant aussi d'imaginer qu'aucun adulte n'a senti, avec ce sixième sens parental, que des garçons étaient, selon la police, en train d'échanger un butin illicite, des images criminelles...

Selon la porte-parole de la police de Laval interviewée par Paul Houde à 98,5 fm, plusieurs parents trouvaient, au moment des arrestations, que les actes commis n'étaient pas gravissimes et que la décision de la police d'interpeller des jeunes était démesurée...

Démesurée?

Certes, on n'est pas là devant le genre de réseau international de pédophilie comme celui mis au jour jeudi par la police canadienne, avec ses centaines de jeunes garçons exploités sexuellement, 348 arrestations, dont 108 Canadiens, incluant huit Montréalais.

Certes aussi, aucun parent n'a de radar parfait et il est possible de ne pas tout voir, de ne pas tout saisir de ce que font nos ados. On ne peut pas prendre la responsabilité de toutes les imbécillités qu'ils font ou feront.

Mais certains parents semblent ne pas avoir de sens de l'observation du tout, et je m'interroge aussi parfois quant au sens moral. Et ils font partie d'une mécanique sociale totalement tordue, d'une cruauté innommable, qui broie les âmes de trop de jeunes adolescents, dont beaucoup de jeunes filles et de gais, année après année après année.

Diffuser des images sexuellement explicites de toute personne, contre son gré, sur les réseaux sociaux est une forme de torture émotionnelle qui peut pousser des jeunes au suicide, sans parler des cicatrices émotionnelles qui durent toute la vie.

Te réveiller à 14 ans avec la police à la maison parce qu'aucun parent n'a su te montrer que diffuser de telles images sur les réseaux sociaux, c'est Mal avec un grand M, ça aussi, c'est très grave. Les parents ont le devoir de protéger les adolescents contre eux-mêmes. (Incluant leur montrer à boire ou plutôt à ne pas trop boire d'alcool, ingrédient incontournable de toutes les histoires d'horreur, non pas parce que l'état d'ébriété rend les victimes moins victimes, mais parce que cela fait partie de la prévention 101.)

Difficile de faire fonctionner nos radars, direz-vous, quand la maîtrise des espaces numériques où ont lieu ces actes est hors de notre portée. Certes. Mais est-ce dire qu'il faut abdiquer? Est-ce dire qu'il faut laisser la Toile, les téléphones portables et autres tablettes s'occuper de nos enfants à notre place?

Actuellement, les écoles font beaucoup pour sensibiliser les jeunes à la cyberintimidation et autres dangers de l'internet, mais elles ne peuvent pas tout faire toutes seules.

Allumons nos ordis. Ouvrons les yeux.