Lorsque j'ai rencontré Jean-François Bouchard, le directeur de la polyvalente Henri-Bourassa, cette école de milieu très défavorisé de Montréal-Nord où le taux de décrochage a chuté de façon spectaculaire, je lui ai parlé des filles Shafia. Une des soeurs assassinées parce qu'elles ne respectaient pas assez rigoureusement le code moral archaïque de cette famille d'origine afghane est brièvement passée par cet établissement, m'a-t-il confirmé. Elle en est toutefois rapidement partie, comme c'est souvent le cas quand les familles sentent que l'école regarde leurs affaires d'un peu trop près.

«Y a-t-il d'autres cas semblables, maintenant? lui ai-je demandé.

- Oui», m'a-t-il répondu.

La réponse m'a donné un frisson.

Oui, en 2013, il y a, à Montréal, des filles vivant dans des familles où la volonté de contrôle religieux sur leurs choix, leurs goûts, leurs rêves, leur vision de leur vie et de leur avenir est si grande qu'elles peuvent craindre pour leur vie.

C'est à cette réponse que j'ai pensé en lisant, samedi, le reportage troublant de ma collègue Katia Gagnon sur les médecins de la métropole qui se font demander de délivrer des certificats de virginité.

Si vous ne l'avez pas encore lu, allez voir ça sur vos iPad dans La Presse". Le genre d'histoire qui nous met en colère et dont on finit la lecture les larmes aux yeux.

Selon une recherche menée par deux éthiciennes, dans au moins quatre établissements de santé de la grande région métropolitaine, durant la dernière année, des familles sont venues demander qu'on leur fournisse un certificat prouvant la virginité d'une jeune fille.

On a l'impression de revenir dans une époque lointaine, presque moyen-âgeuse, mais ça s'est passé tout récemment. Et pas en Afghanistan sous les talibans ou chez les intégristes saoudiens. Cela s'est produit probablement tout près de chez vous, dans l'hôpital où vous êtes peut-être allé la semaine dernière pour faire soigner une entorse ou une vilaine toux.

Je ne vous expliquerai pas en long et en large pourquoi il est dément que des tiers cherchent à savoir - et à se faire certifier - qu'une jeune femme est vierge. Ou du moins que son hymen n'a pas été rompu.

Le concept est odieux. Ce n'est juste pas de leurs maudites affaires.

Et puis, on sait tous que cette histoire d'hymen et de supposée virginité ne veut rien dire sur rien. Ça ne veut rien dire sur la sexualité de la jeune fille en question parce que, je ne vous ferai pas de dessin, toute jeune fille peut très bien avoir une sexualité active et un hymen intact. Ou n'avoir eu aucune activité sexuelle et un hymen pas intact (apparemment, sport, chutes et autres banalités peuvent y faire quelque chose).

Et ça ne veut rien dire sur rien d'autre, mis à part l'archaïsme gênant et inquiétant de ceux qui s'en préoccupent.

Qu'elle soit exigée par des familles musulmanes, catholiques, mormones ou par les chrétiens ultraconservateurs de la «Bible Belt» américaine organisateurs de «Purity Balls», la virginité est un concept inventé, imposé par des hommes qui veulent contrôler les femmes en général et leur sexualité en particulier.

C'est inacceptable, intolérable et, je leur répète, dément, dans une société libre et égalitaire.

Les directives du Collège des médecins du Québec sont claires. De tels certificats ne doivent pas être fournis, peu importe qui le demande. Et c'est tant mieux. Les médecins doivent absolument refuser de jouer ce jeu moyen-âgeux. Comme les plasticiens devraient aussi refuser de reconstruire les hymens pour que les jeunes mariées puissent se soumettre à la mascarade du sang sur les draps.

C'est peut-être une pratique payante pour les chirurgiens, mais elle est moralement inacceptable. On ne doit pas, même si on pense ainsi aider des femmes qui autrement risquent l'opprobre, cautionner une pratique attaquant de front l'égalité entre les sexes et la liberté et l'intégrité des femmes.

Les médecins qui reçoivent de telles demandes devraient plutôt rediriger les patientes directement aux services sociaux.

Je l'ai souvent écrit, je le répète, car je le crois réellement: parfois, on a la responsabilité de ne pas se mêler de ses affaires.

L'affaire Shafia l'a amplement démontré. Et tous les cas de violence et de meurtres conjugaux où on n'a pas su suffisamment aider les victimes nous le rappellent aussi.

Je ne sais pas s'il faut une «charte des valeurs» pour clarifier ce dossier-là en particulier, celui des certificats de virginité, mais qu'on arrête de se dire qu'il n'y a pas de problèmes de demandes d'accommodements religieux hallucinants sur le terrain.

Demander une preuve de "pureté", c'est gravissime.

Et la position de la société doit être claire: on est contre.

Et les travailleurs sociaux, les éducateurs, le personnel du monde de la santé et les autres intervenants doivent savoir qu'on les appuie sans équivoque quand vient le temps de refuser des demandes aussi irrecevables.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca