Quand je suis arrivée à Saint-Liboire vers 16h hier après-midi, il y avait des files d'attente de sept ou huit voitures devant chaque pompe de la station d'essence en bord d'autoroute. Des gens du coin, mais aussi des banlieusards montréalais venus payer leur essence 1,30$ le litre plutôt que 1,50$.

«Ça va me permettre d'épargner peut-être 5$ ou 6$", calculait Richard Audy, en attendant dans son véhicule. «Mais il faut surtout que je sois très outré pour faire la file comme ça.»

Dans la queue, plusieurs partageaient son point de vue.

Surtout son scepticisme devant la nécessité soudaine des sociétés pétrolières d'augmenter le prix du carburant, oh surprise, la veille du début des vacances de la construction, ce moment où pratiquement le Québec au complet saute dans sa fourgonnette pour partir en camping, au chalet, visiter les grands-parents au bord d'un lac ou lancer un frisbee sur une plage du Maine.

«Ce n'est pas normal, ça arrive toujours le jeudi en plus», commentait Alain Trudel. «Soudainement, ils augmentent de 10 cents. Et ça ne rebaisse jamais. C'est dégueulasse. Ils volent le monde à tour de bras.»

«Je suis persuadé qu'il y a de la collusion», a ajouté Nicolas Renaud, un autre automobiliste de la file d'attente. «C'est comme tout le reste. Pipé d'avance.»

Partout, la même question revient. Pourquoi rien n'est fait pour encadrer les hausses de prix? Pourquoi les détaillants prennent-ils ces décisions en même temps? Pourtant, toujours ce sentiment d'être mis devant un fait accompli, sans choix. Qui change ses projets de vacances deux jours avant le départ prévu parce que soudainement le coût du transport vient d'augmenter substantiellement?

Un peu à l'écart des files d'attente, deux touristes danois compatissent, mais modérément. Chez eux, l'essence coûte l'équivalent de 2,50$ le litre. Et c'est normal.

La voiture ne joue pas le même rôle qu'ici. Dans les rues étroites des villes, on marche, on roule à vélo. Entre les cités, on prend le train.

D'ailleurs, la voiture n'était pas le premier choix de ces touristes pour leur déplacement entre Montréal et Québec. Ils ont écarté le car, mais pensé rails. Sauf que les horaires des rares trains ne convenaient pas du tout. Et c'était carrément moins cher de louer un véhicule.

Absurde...

Bien sûr, bien sûr, on peut donc voir le côté positif des augmentations du prix de l'essence à la pompe. Avec leurs prix élevés, les détaillants nous encouragent malgré nous à faire de l'économie d'énergie et à nous tourner vers des moyens de déplacement plus écolo, comme les transports collectifs ou les transports dits actifs tels la marche ou le vélo.

Ils nous obligent à réfléchir sur nos dépenses, à faire du covoiturage, à remettre en question certains déplacements. À ne pas tenir la voiture pour acquise, comme l'eau ou l'air.

Mais dans une société nord-américaine qui n'a jamais pensé - ou commence à peine à penser - que la voiture finirait par devenir inabordable, la transition est pénible.

Parler de trains est un peu tabou en ce moment, mais pour ceux qui veulent abandonner l'auto, il y a très peu de trains qui peuvent nous transporter vers des destinations vacances.

Même chose en ville.

Il n'est quand même pas normal de ne pas pouvoir prendre de train entre l'aéroport et la métropole. Pas normal que ce dossier traîne encore. Pas normal que les liaisons entre Québec et Montréal soient si rares. Les deux principales villes! Pas normal qu'en ville, les métros ne soient pas plus fréquents: c'est ainsi que le transport en commun devient une solution non pas pratique, comme à Paris ou New York, mais par dépit.

Actuellement, les consommateurs ont le pire des deux mondes.

D'une part, des prix d'essence en explosion, et peut-on insister sur le caractère douteux de ces augmentations? Désolée, mais depuis que la commission Charbonneau met des mots et des témoignages sur tous les doutes instinctifs que l'on a eus dans le passé, tous les points d'interrogation sont permis. Sur les augmentations de prix. Et sur l'absence d'action gouvernementale au sujet de ces augmentations.

Et d'autre part, c'est que devant les hausses de prix, les consommateurs n'ont pas suffisamment de solutions de rechange intéressantes. Métro et trains de banlieue limités. Aucun TGV pour les emmener en voyage en train vers les États-Unis ou le reste du Canada. Des horaires régionaux plutôt courts et les autocars comme seule autre option.

Comme la popularité et le succès des programmes comme BIXI et Communauto l'ont montré, nous sommes prêts à nous déplacer autrement qu'avec nos voitures à essence traditionnelles. Et probablement même pour partir en vacances.

Mais encore faut-il qu'il y ait une proposition de rechange. Et pas dans 20 ans.