«Si j'aide les femmes à avoir des enfants au moment de leur vie où elles peuvent donner de l'amour et de l'affection, ils ne deviendront pas des violeurs ou des assassins. Et ils ne construiront pas des camps de concentration.»

Ces phrases sont de Henry Morgentaler, survivant de l'Holocauste d'origine polonaise venu ici à l'âge de 26 ans, plus grand militant et activiste pro-choix que le Canada a jamais connu, mort hier d'une crise cardiaque à l'âge de 90 ans. Ces phrases, il les a dites au Globe and Mail en 2003, explications d'un homme cherchant dans sa mémoire pourquoi il a consacré sa vie à la défense et à la mise en oeuvre du droit des femmes de disposer de leur corps et de mettre fin à des grossesses non désirées.

«C'était une pensée inconsciente, ajoutait-il dans le même entretien. C'est devenu presque une commande.»

Je n'ai jamais longuement interviewé Morgentaler. Mais je l'ai croisé à plusieurs occasions ici et à Ottawa alors que je couvrais ce dossier encore très chaud. Je crois que la première fois, c'était durant la grande manifestation à la défense de Chantal Daigle à Montréal en 1989, à peine un an après le fameux arrêt de la Cour suprême invalidant les articles du Code criminel sur l'avortement. L'arrêt Morgentaler.

Je me rappelle un homme pas très grand, un peu frêle, parlant d'une voix convaincue mais douce.

Je me rappelle un personnage intelligent, ferme mais calme, qui semblait solidement ancré sur terre, loin de de la controverse qui le suivait partout dans les années 70 et 80, alors que ses gestes de désobéissance civile faisaient régulièrement la manchette. Son choix de pratiquer des avortements sûrs, mais consciemment illégaux. Sa transparence. Son emprisonnement. Ses procès. Sa détermination à ne pas cesser cette pratique médicale même si, à l'époque, il était criminel de le faire sans l'approbation de «comités thérapeutiques» au fonctionnement aussi obscur qu'aléatoire.

Morgentaler faisait partie de ces hommes alliés cruciaux dans l'avancement vers l'égalité. Ceux qui percent les abcès. Car ne nous leurrons pas. Il y avait des avortements qui se pratiquaient à Montréal et au Canada bien avant qu'il n'ouvre ses cliniques et pose ses gestes au grand jour.

Morgentaler a mis fin à l'hypocrisie. Au secret. Aux pratiques illégales sordides auxquelles les femmes avaient recours au péril de leur vie et de leur fertilité.

Grâce à lui, la lutte pour le droit à l'avortement est devenue, au grand jour, une lutte pour la santé, l'égalité, la liberté, endossée par des femmes et des hommes.

Pour que le droit évolue, il fallait qu'il soit là, comme il fallait aussi que Bertha Wilson première femme juge à la Cour suprême soit sur le banc. Comme il fallait que Roe vs Wade aux États-Unis ait amorcé un changement de culture. Et comme il fallait que des milliers de militantes se battent au quotidien, sur le terrain, en manifestant et en appuyant et en ramassant à la petite cuillère les femmes victimes des absurdités de l'époque...

Chacun a joué son rôle. Petit ou grand. Celui du Dr Morgentaler fut énorme. Les femmes et les hommes qui croient, eux aussi, que l'humanité se porte mieux quand naissent des enfants voulus lui doivent beaucoup.