Si vous aimez cuisiner avec des ingrédients régionaux, si votre vision du bonheur culinaire passe par les marchés fermiers, l'ail bio, le sirop d'érable d'exception, les champignons sauvages ou les minuscules fraises des champs, vous savez comme bien d'autres qu'acheter des produits québécois authentiques, frais, artisanaux, relève trop souvent de la transaction interlope.

Pas le droit de vendre des oeufs ici. Pas le droit de choisir son sirop par là. Du lait de vache dont vous connaîtriez l'origine exacte? Oh non. Et oubliez le lait cru. Vous voulez du poulet? Oui, oui. Mais n'en parlez pas trop... On se cache. On passe un saucisson sous silence. Entre deux pots de confitures illicites.

Partout, à chaque détour, une interdiction plane, un règlement s'impose. Vous voulez du ketchup aux fruits maison pour accompagner votre tourtière dans un petit restaurant de bord de route dans le Bas du Fleuve? Oubliez ça. Le ministère de l'Agriculture - MAPAQ - n'aime pas les conserves amateurs et veut vous protéger contre les bactéries, alors prenez du Heinz. Vous voulez acheter de la crème fermière à votre voisin qui élève des vaches? N'y pensez même pas. Si l'idée de plonger le doigt dans un bol de crème encore tiède fait partie de vos rêves d'enfance, partez chez le psy ou achetez-vous un billet d'avion pour aller sur un autre continent. Au Québec, la liberté alimentaire n'existe pas.

Et malheureusement, ce n'est pas la nouvelle «politique de souveraineté alimentaire» annoncée hier par le gouvernement de Pauline Marois qui va corriger cette situation.

Les mots-clés du projet, m'a expliqué le ministre de l'Agriculture, François Gendron, en entrevue, sont tout autres. Il y a «santé», mais aussi «sécurité», «salubrité», ainsi que «profits» et «exportation». Il m'a parlé aussi d'identité, de qualité, d'organisation.

Mais de liberté, non, ça il ne m'en a pas parlé. De diversité pas trop non plus. J'ai aussi attendu, en vain, qu'on évoque la créativité, l'originalité, la personnalité de nos aliments, de nos agriculteurs, de nos chefs...

J'écoutais le ministre parler, hier après-midi, et je me disais que dans le fond, ce qu'il veut c'est qu'on arrête de manger de la nourriture industrielle étrangère pour manger de la nourriture industrielle provenant d'ici.

Est-ce vraiment ça être souverain dans notre assiette?

Je sais qu'Équiterre, qui joue un rôle crucial dans la diffusion des produits de l'agriculture locale a applaudi la nouvelle politique. L'organisme est content que l'État s'engage à mettre en place une politique d'approvisionnement régional pour les cafétérias institutionnelles directement sous sa gouverne: bureaux des ministères, hôpitaux, écoles.

Ce volet de la politique est intéressant. Tout comme les deux autres éléments soulignés par Équiterre, soit une meilleure protection des terres agricoles en milieu urbain, ainsi que le contrôle de l'utilisation des pesticides.

Mais ce que je sais aussi, c'est que l'organisme qui travaille le plus fort avec les petits producteurs indépendants qui ruent dans les brancards, l'Union paysanne, est totalement déçu de la politique, que son président, Benoit Girouard, qualifie de «coquille vide».

Pourquoi? Parce qu'on ne remet pas en question le poste principal de dépense du MAPAQ, soit le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles, des centaines de millions voués à la production de gros volumes.

La nouvelle politique, donc, ne veut pas et ne se donne pas les moyens financiers de s'éloigner du modèle d'affaires classique de l'agriculture selon le MAPAQ et l'Union des producteurs agricoles, qui est la grande échelle permettant la concurrence internationale.

Personne ne s'attend, évidemment, à ce que le Québec laisse tomber totalement cette approche. Tant que les Costco et Walmart de ce monde vendront de gros volumes de nourriture à bas prix, autant qu'ils vendent des produits québécois.

Ce qui est décevant, toutefois, c'est que la nouvelle politique n'ouvre aucune porte à d'autres formes de productions parallèles qui seraient exemptées du monopole syndical de l'UPA et de ses exigences limitant exagérément la liberté d'action des petits et donc la créativité.

«Où est le courage», demande Girouard. Le courage de faire une petite brèche dans un système rempli de quotas et de plans conjoints qui tuent l'innovation.

Pensez-vous que la France aurait autant de fromages si elle avait eu le MAPAQ au-dessus de son épaule? Pensez-vous que l'Italie aurait aujourd'hui tant de belles huiles d'olive si l'UPA avait toujours demandé à tout le monde de mettre tous les jus dans les mêmes citernes? Pensez-vous que l'Espagne aurait ses jambons fabuleux si égalité entre producteurs et stabilité des prix avaient toujours primé sur la quête d'excellence et les produits particuliers, différents...

Si on ne veut pas mettre la hache dans un système, peut-on au moins le réformer un peu?

Encourager les grandes institutions à grands volumes à acheter québécois, c'est formidable. Mais ce n'est pas uniquement ainsi qu'on bâtit une culture. Il faut aussi des artisans qui vont inventer, renouveler, repenser notre production et jouer, comme les artistes, aux magiciens pour toujours réinventer notre assiette, notre panier d'épicerie, notre rapport à ce que l'on mange et notre environnement.

Vous voulez parler de souveraineté, mesdames et messieurs du PQ? Eh bien, l'agriculture aussi a besoin de ses Vigneault, de ses Félix Leclerc, de ses Michel Tremblay. Il faut leur permettre d'exister.