Pour la fin de 2012, la BBC a décidé de dresser une liste des 10 meilleures interventions faites durant l'année par les participants du réseau social Twitter. Parmi ces messages de 140 frappes ou moins, on trouvait un tweet d'un Texan anonyme commentant la déchéance publique d'un héros du football américain, Joe Paterno, reconnu coupable non pas de sévices sexuels sur des enfants, mais d'avoir volontairement occulté, ignoré ce qu'il savait sur les crimes de son assistant, Jerry Sandusky.

«À tous ceux qui sont fâchés de voir la statue de Joe Paterno démontée: regardez ailleurs et faites semblant que rien ne s'est passé», a écrit celui qui se fait connaître par l'avatar Beardedstoner. La BBC a adoré.

À tous ceux qui sont choqués de voir qu'on veuille arrêter et accuser George Sarrazin, religieux de 91 ans mal en point, ancien professeur et responsable de la discipline au collège Notre-Dame, pour des sévices sexuels commis du milieu des années 60 aux années 80, je dirais la même chose: «Regardez ailleurs, et faites semblant que cela n'arrive pas.»

Cela vous scandalise qu'on poursuive et qu'on veuille traduire en justice un autre religieux, Olivain Leblanc, aujourd'hui âgé de 70 ans, lui aussi ancien professeur au collège Notre-Dame, pour des crimes commis sur des enfants il y a 30 ans? Regardez ailleurs et faites semblant qu'il n'arrive rien du tout.

Pendant ce temps, les avocats, les juges, les policiers, eux, feront leur travail. Devront faire leur travail.

Il faut que ces dossiers soient traités.

Si la Couronne estime qu'elle a assez de preuves pour poursuivre ces individus, qu'elle le fasse. Et que le traitement accordé aux éventuels accusés soit celui que prévoit la loi.

Si les allégations sont prouvées, si des individus sont reconnus coupables des crimes dont on les accuse - grossière indécence, sodomie, attentat à la pudeur -, s'il est jugé qu'ils ont atrocement, odieusement tiré parti de leur position de pouvoir alors qu'ils veillaient sur des enfants, qu'ils en paient le prix, peu importe leur âge ou leur état de santé.

On parle de vies brisées, de victimes qui avaient à peine 12 ans, on parle de petits qui se sont fait voler leur enfance, qui ont dû pendant toute leur vie recoller les morceaux brisés non seulement par les crimes commis, mais aussi par la totale injustice qui a suivi... C'est une chose d'être agressé sexuellement. Mais imaginez voir le criminel poursuivre sa vie tranquillement comme si de rien n'était, se faire confier d'autres enfants.

Comme société, nous devons aux victimes tout notre appui.

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Dans cette histoire, il y a beaucoup plus que ces deux frères et leurs victimes alléguées.

Tout a éclaté au grand jour il y a quatre ans. C'est la journaliste Sue Montgomery, de The Gazette, qui a mené l'enquête. En découvrant notamment des lettres accusant certains frères du collège Notre-Dame de vouloir non seulement cacher des crimes, mais aussi de faire taire les victimes, elle a ouvert une boîte de Pandore. Elle a appris à des parents que leur fils avait été victime de sévices sexuels. Elle a appris à des victimes qu'elles n'étaient pas seules, de la rue Queen-Mary à Saint-Césaire en passant par Pohénégamook, où les frères de Sainte-Croix avaient aussi des collèges.

Ces victimes, elles se comptent par dizaines, voire par centaines. Ces hommes ont aujourd'hui 40, 50 ou 60 ans, et traînent tous des cicatrices émotionnelles indélébiles plus ou moins profondes.

Il y a 14 mois, une entente a été signée entre la congrégation des frères de Sainte-Croix et l'association des victimes, entente qui non seulement reconnaissait les crimes commis, mais acceptait que 18 millions soient versés à tous ceux qui ont été la proie des pédophiles.

Aujourd'hui, la congrégation demande plus de temps, une autre période de six mois, pour traiter les dossiers avant de verser l'argent. Mais comment peut-on demander cela à des gens qui attendent depuis des décennies que justice soit faite?

Je vous entends poser des questions. Pourquoi les victimes sont-elles pressées, pourquoi de l'argent pour réparer de telles douleurs? Parfois c'est utile pour compenser des carrières qui n'ont jamais décollé. Pour payer des thérapies peut-être aujourd'hui tardives, mais nécessaires. Pour réaliser un rêve. Enfin. Alors que tant d'autres ont été brisés.

Vous ne comprenez pas l'urgence? Cela vous agace?

Regardez ailleurs. Et faites semblant que tout est comme d'habitude.

Mais que cela n'empêche pas ceux qui préfèrent regarder la réalité de face de s'assurer que justice soit rendue. Bientôt.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca