Il y a quelques semaines, à Montréal, un groupe de membres du mouvement Slow Food, passionnés de traditions culinaires et d'aliments régionaux plutôt unis contre les fruits et légumes issus de fermes industrielles et importés du bout du monde, se sont retrouvés pour discuter de gaspillage.

Charles-Antoine Crête, le chef du Toqué!, qui travaille depuis plusieurs années à la lutte contre la dilapidation des aliments comestibles, y était. Et il a expliqué comment, un jour, il a récupéré une poubelle de restants d'ananas frais, au marché Jean-Talon, pour en faire toutes sortes de sirops, sorbets, etc.

«Mais étaient-ce des ananas bio?», lui a demandé une dame dans la salle.

Non, a-t-il répondu. Car quand vient le temps de sauver des aliments parfaitement consommables de la perte totale, a-t-il continué d'expliquer, ces questions ne s'appliquent plus.

On ne lève pas le nez sur une tomate qui s'apprête à prendre le chemin du dépotoir si on peut en faire quelque chose.

Une fois l'aliment cueilli et arrivé ici, on essaie d'en tirer le meilleur parti possible. Peu importe comment il a été produit et comment il s'est rendu à nous.

Bref, si vous pensiez avoir enfin compris comment faire vos choix alimentaires, entre les poissons menacés ou mal élevés, les viandes aux antibiotiques à fuir, les importations de légumes douteuses et la chasse à l'E. coli, détrompez-vous.

Le sujet vient de se compliquer encore un peu.

Devant une fraise californienne ou un raisin chilien issus de fermes, notre réponse slow-food («non, non, non, c'est industriel, c'est transporté jusqu'ici à grands coups de gaz à effet de serre, c'est pas local») n'est plus automatique. Si le produit doit se perdre, autant en faire quelque chose.

Cela ne veut pas dire d'arrêter toutes nos réflexions sur nos approvisionnements en aliments. Juste d'ajuster nos prises de décision à la réalité criante du gaspillage, le grand défi actuel si on veut continuer de nourrir la planète sans imposer encore plus à la nature, à notre environnement(1). Même locale, même biologique, toute production alimentaire soutire des ressources à notre Terre. Rajouter une demande, même le mieux possible, cela demeure une sollicitation supplémentaire pour les champs et leurs nutriments.

En attendant de remplacer les fermes de production intensive actuelles par des fermes plus respectueuses des cycles du sol, ayons au moins de la considération pour tout ce que la Terre nous fournit. Et c'est d'ailleurs ce que Crête appelle, lui, le «respect du produit».

Est-ce à dire qu'il faut tous se ruer sur les poubelles des marchés Jean-Talon ou Atwater? Qu'on devrait tous devenir «déchétariens» ? Que faire les courses, ce sera out en 2013, alors que la poubelle sera on ne peut plus in?

Un peu.

Mais surtout nos poubelles à nous. Celles qui sont dans nos maisons.

Au marché, toutes sortes de gens font déjà de la récupération, comme le montre fort bien le reportage de Stéphanie Vallet et Ninon Pedneault.

Dans nos rebuts, à la maison, c'est différent.

On jette le périmé en lisant bêtement la date sur le paquet. On jette le flétri. On jette tout ce qui est oublié dans le fond du frigo. On jette les surplus dont on n'a su que faire. On achète trop, on achète mal.

On cherche le tout fait, ce qui se met dans la bouche sans trop d'effort.

On ne sait plus cuisiner avec rien. Personne ne nous a montré comment faire.

On achète du bouillon en conserve ou en poudre, alors qu'on jette les os du poulet mangé la veille, les feuilles de céleri, les gousses d'ail un peu trop ratatinées.

On achète, à grands frais, de la sauce toute prête pour les pâtes, alors que flânent dans le réfrigérateur un reste de bacon, de fromage, un oeuf et de la crème qui nous permettraient d'improviser une carbonara.

On jette nos vieux fruits et, pourtant, on paie une fortune pour des smoothies... Mais qu'est-ce qu'un bon smoothie sinon la rencontre de fruits qui tardent, de yaourt, de glaçons, de lait? Peu importe, on y met ce qu'on veut.

Une soupe? Un risotto? Un sauté de légumes? Un braisé improvisé?

Arrêtons de parler toujours de grandes recettes de grands chefs. L'avenir alimentaire est dans l'art d'apprêter ce qu'on a déjà.

On en reparle.

(1) On gaspille autant, en quantités de nourriture, que la moitié de la production céréalière mondiale, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture.