Que vous le vouliez ou non, préparez-vous: en alimentation, les prochaines années seront celles du gaspillage.

Ou plutôt, de la lutte contre le gaspillage.

Déchétariens, préparez vos déclarations pour la presse.

Poubelles, faites-vous discrètes.

Cuisiniers, regardez avec imagination ces vieilles carottes qui traînent dans le fond du réfrigérateur, ce pot de yaourt qui est sur le point de déclarer forfait.

L'heure est à l'introspection ordurière.

Et il était temps.

Depuis une dizaine d'années, on a beaucoup discuté d'OGM, de bio, de consommation locale, de traçabilité, de surindustrialisation. Entre les scandales de vache folle et les crises de salmonellose et de contamination à l'E.coli, on a fait la fête aux principes mis de l'avant par Slow Food. Ceux selon lesquels il faut manger de la vraie nourriture, qui a une histoire, un sens, une nourriture propre, donc écologiquement correcte et juste aussi, puisqu'il faut que ceux qui la produisent soient traités de façon équitable.

Plus récemment, on a commencé à aborder aussi la question des produits sauvages, qui permettent de manger sans polluer puisqu'on n'utilise aucun engrais ou énergie pour leur production. À cela s'est ajouté, évidemment, le dossier pillage, comme on l'a vu dans les pêches. Puiser dans la nature, oui, mais jusqu'où?

Sauf que devant une crise de pénuries alimentaires qui s'allie à une crise de surabondance - celle qui fait grossir et produit les problèmes d'obésité que l'on connaît - et devant des problèmes environnementaux sans précédent, nous voilà encore obligés de réfléchir autrement.

Comment nourrir le monde sans tirer encore plus d'énergie et de richesse de la planète? Sans vider encore plus nos sols et nos océans de leurs nutriments?

En cessant la dilapidation insensée et inefficace de nos stocks alimentaires.

«Si nous étions capables de réduire de moitié les pertes et le gaspillage, nous aurions assez d'aliments pour nourrir 1 milliard de personnes de plus, sans avoir à augmenter la production et sans exercer plus de pression sur les ressources», a affirmé récemment le directeur général de la FAO, José Graziano da Silva, à l'ouverture du Salone del Gusto et de Terra Madre, à Turin.Un milliard de plus.

Pendant que Monsanto vante les vertus de ses OGM pour nourrir une planète affamée, chaque année, quelque 1,5 milliard de tonnes de denrées comestibles sont gaspillées. «Notre paradigme alimentaire doit changer; il faut réduire les pertes», a résumé Carlo Petrini, fondateur de Slow Food, en conférence de presse au même événement turinois.

Le gaspillage alimentaire, au nom du «trop vieux» et du «pas assez beau», se fait de plusieurs façons.

Dans l'industrie, parce qu'on écarte les produits qui ne sont pas jugés assez parfaits, ce que Petrini appelle un raisonnement fasciste. Ailleurs, ce sont les dates de péremption dépassées qui forcent la mise à la poubelle. Dans la restauration, dans les supermarchés, à toutes les étapes, des produits vieillissent sans être achetés et, plutôt que de trouver une façon de les attraper au vol avant qu'il ne soit trop tard, on les envoie aux ordures.

Et même à la maison, on jette. Si les systèmes de distribution alimentaire gaspillent quelque 200 kg de nourriture par Européen chaque année, affirme Petrini, à la maison, ce sont 90 kg qui sont jetés.

Devant les journalistes, le critique gastronomique imite un bouquet de persil perdu dans le frigidaire, flétri, qui réclame qu'on le mange. Tout le monde rit, mais tout le monde sait très bien de quoi il parle.

Qui ne jette jamais de restes? Qui sait encore, comme nos grands-mères, cuisiner les reliefs de poulet et le trop-plein de courgettes?

À part le grand chef montréalais Normand Laprise, qui a fait de la «maximisation» des produits son nouveau fer de lance, qui transforme une tomate de A à Z, en poudre, en gelée, en eau parfumée, pour que rien ne se perde, qui transforme un thon en charcuterie en jouant avec les arêtes, les retailles, la peau, pour qu'aucune trace ne subsiste, à part lui, donc, qui fait tous les efforts possibles pour ne pas gaspiller de nourriture?

«Pourquoi aucun politique ne parle jamais de cela? demande Petrini. Pourquoi tout ce qu'on voit sur l'alimentation, à la télé, ce sont des chefs qui remuent leur poêle à frire et ne parlent jamais de tous les autres enjeux?»