«Je pense que j'ai besoin d'un peu plus de vin», lance la dame anglophone qui est assise à côté de moi, dans le joli salon de Notre-Dame-de-Grâce où je regarde les élections. Gros soupir. «Je ne suis pas sûre que je peux regarder ça», ajoute-t-elle.

Dans la pièce où se mélangent anglophones et francophones, la bonne humeur vient d'en prendre un coup.

Il est presque 21h et Radio-Canada a annoncé son fameux «si la tendance se maintient» en faveur du Parti québécois.

Dans la pièce, personne n'a voté pour le Parti québécois.

Vert, peut-être. Coalition avenir Québec? Pas clair. Mais PQ, non.

Dans Westmount, Notre-Dame-de-Grâce, même Côte-Saint-Luc et tout l'ouest de l'île, Jean Charest n'a pas que des fans. Loin de là. Mais de là à voter pour un parti souverainiste, il y a un pas que personne ici n'était prêt à franchir, peu importe l'envie de changer une équipe usée. Peu importe les scandales de corruption. Peu importe les gentils mots pour le nouveau député péquiste Léo Bureau-Blouin, peu importe la sympathie pour la députée Québec solidaire dans Gouin, Françoise David, dont on salue la classe durant toute la campagne et surtout au débat.

En fait, il y a pas mal plus de gens qui ont voté libéral qu'on ne pense, confie une dame en regardant les résultats défiler et en constatant que les pourcentages de votes pour l'équipe Charest et l'équipe Marois ne sont pas si différents qu'on aurait pu prévoir en lisant les sondages. Les libéraux sont en train de perdre, mais ce n'est pas la dégringolade appréhendée. «Les gens n'osaient pas dire aux sondeurs qu'ils voulaient voter libéral, ajoute cette électrice discrète. Moi j'ai voté libéral, mais j'étais gênée. Et je me suis pincé le nez. Et je ne m'en suis pas vantée.»

Pendant qu'on discute, une bonne nouvelle s'affiche à l'écran de la télé.

«Yé, Kathleen Weil est réélue!» lance-t-on tout autour du salon, en parlant de la députée libérale de Notre-Dame-de-Grâce.

Il n'y a là aucune surprise. Mais l'annonce arrive comme un baume sur des moments douloureux.

Dans l'ouest de la ville, dans un quartier aujourd'hui mixte mais traditionnellement anglophone et dans le salon où se déroule cette soirée électorale bilingue, personne ne jubile.

Même si on s'accroche à la possibilité que le PQ soit minoritaire, même si on lance un petit cri de joie quand Radio-Canada annonce finalement que les troupes de Pauline Marois n'auront pas une majorité, plus les minutes passent, plus les sourcils se froncent.

Rien d'étonnant. Ici, personne n'est catastrophiste. Mais quiconque a passé un peu de temps au parc à chiens de Westmount ou, mieux, à celui de Côte-Saint-Luc sait que la possibilité d'un gouvernement péquiste inquiète terriblement les anglophones depuis le début de la campagne. Voilà quatre semaines que j'entends parler de maisons à vendre dans Hampstead, de déménagements vers l'Ontario envisagés de Mont-Royal à Westmount.

«Les gens sont inquiets et on peut les comprendre de l'être», explique l'animateur Dan Delmar, de CJAD, que j'ai eu en entrevue mardi après-midi. Ils craignent un référendum. Ils craignent l'instabilité économique qu'ils ont vécue dans le passé à la suite des autres élections du PQ. «Et puis il y a le renforcement de la loi 101 promis par le PQ», ajoute Delmar. Notamment la promesse d'en étendre l'application aux cégeps. «Pour les anglos, ce sont des problèmes très concrets.»

Est-ce à dire que tout le monde s'est rué aux bureaux de vote pour appuyer Jean Charest? Pas nécessairement. Il y a des anglophones installés dans l'Est, dans le Mile End ou le Plateau, qui ont probablement voté pour Québec solidaire, croit Delmar, des électeurs progressistes qui ont adhéré au programme de Françoise David malgré son élément souverainiste. D'autres ont peut-être aussi appuyé la CAQ, croit l'animateur, même si le passé péquiste du chef Legault en a inquiété plus d'un jusqu'à la dernière minute, note-t-il.

«Mais la réalité dans ces élections, c'est que toutes les options étaient sombres. Il n'y avait pas d'option.»