Le verdict venait à peine de tomber. Anders Breivik sain d'esprit, coupable, criminellement responsable de la mort de 77 personnes l'été dernier, à Oslo et sur l'île d'Utøya et condamné à la peine de prison maximale en Norvège, 21 ans. Et puis les nouvelles ont commencé à arriver de New York.

Une autre fusillade. Un homme venait de tirer près de la tour de l'Empire State, un des sites touristiques les plus achalandés de la métropole américaine. Deux morts, neuf blessés. Un homme de 53 ans, congédié de son travail il y a un an, venu là pour viser un ancien collègue et qui en a touché plusieurs autres quand son geste a dérapé, quand la police a voulu l'arrêter avant de finir par l'abattre. Un acte violent comme il y en a tellement aux États-Unis depuis quelque temps qu'on dirait presque une épidémie. Aurora et les 12 morts du cinéma fin juillet. Le temple sikh du Wisconsin où six personnes ont perdu la vie au début du mois.

Ça tire de partout.

Dans la nuit de jeudi à hier seulement, à Chicago, 19 personnes ont été blessées par balle.

Non, non chers républicains et lobbyistes profusils, l'Amérique n'a pas de problème d'armes à feu...

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Que ces deux événements arrivent presque en même temps - la fusillade et le jugement - nous obligent à poser la question: est-ce une coïncidence? Aurora a eu lieu deux jours avant le premier anniversaire de la tuerie de Breivik alors que les médias étaient nombreux à revenir sur cette tragédie aux proportions dramatiques pour le pays scandinave. Hier encore, tous les médias parlaient de la sentence du tueur misogyne et raciste norvégien quand Jeffrey Johnson s'est rendu près du symbole architectural new-yorkais pour décharger son arme.

Mais peut-être n'est-ce, effectivement, qu'une coïncidence. L'affaire Breivik n'a pas été beaucoup couverte par les médias américains malgré son ampleur, du moins comparé à tout ce qui a été dit et écrit et montré par les journaux en Europe où, heureusement, on n'a pas été témoin de crime «copycat» depuis le fatidique 22 juillet.

Peut-être, donc, que le tireur new-yorkais ne savait rien du jugement norvégien et qu'on a juste eu affaire à de malheureux chevauchements de nouvelles.

Mais on reste songeur.

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En Norvège, les événements de New York sont passés bien bien après le jugement du tueur d'Utøya, évidemment.

Là-bas, des tueries, il n'y en a pratiquement jamais. Celle de l'été dernier fut un événement historique, contrairement à ces fusillades américaines qui sont, et c'est immensément triste de le dire, en voie de devenir presque banales.

En Norvège, la dernière fois qu'il y a eu quelque chose d'aussi grave et meurtrier, ça s'appelait la Seconde Guerre mondiale.

Là-bas, non seulement les armes ne sont pas en circulation comme aux États-Unis: même les policiers n'en portent pas. Des fusils, malgré tout ce qu'on peut lire dans les excellents romans de Jo Nesbø, ça sert à chasser.

À Oslo, on attendait ce jugement depuis plus d'un an. Ce que bien des gens craignaient: que le tueur ne soit pas reconnu criminellement responsable de son geste pour cause de maladie mentale. Breivik aurait alors quand même été incarcéré, mais avec tous les points d'interrogation que connaissent ceux qui ont suivi l'affaire Turcotte ici au Québec. Le flou de la «guérison» possible. Les conditions de détention différentes... L'impression que le mal n'est pas vraiment puni.

Le tribunal d'Oslo n'a pas écouté les deux seuls psychiatres qui avaient établi le diagnostic de folie et même les procureurs. Comme il le souhaitait lui-même, le tueur a été jugé sain d'esprit malgré de graves troubles de personnalité. Il écope de la peine maximale assortie de conditions supplémentaires pour éviter une libération conditionnelle prématurée et pour prolonger la durée de son emprisonnement, si nécessaire.

C'est ce que la population voulait, en majorité. Quand j'y suis allée en juin dernier, on entendait partout: «Fou, pas fou, mettez-le derrière des barreaux, peu importe où, mais organisez-vous pour qu'il n'en sorte pas de sitôt.» Et plusieurs ajoutaient: «Et qu'on perde la clé.»