J'aime bien le marché Jean-Talon.

Oui, celui qui fait absurdement la vie dure au cultivateur Jacques Rémillard et à son camion supposément trop long de 60 cm.

J'étais de ceux, je l'avoue, qui voyaient d'un mauvais oeil l'expansion construite du côté est, il y a quelques années. Mais je dois constater que cette nouvelle aile qui borde la rue Henri-Julien est devenue une des sections les plus intéressantes du marché, avec ses commerces indépendants. J'adore les sorbets du Havre-aux-Glaces, les calmars frits à la sauce piquante d'Aqua Mare...

En fait, plus ça va, et plus la zone qui m'agace est plutôt l'ancienne, la traditionnelle, celle où l'on vend surtout des fruits et des légumes, celle qui se protège du soleil sous les anciennes marquises et que l'on clôt l'hiver.

Celle où chaque semaine M. Rémillard installe son camion de la ferme Jacques et Diane pour y vendre des légumes. Ses légumes, cultivés à Saint-Michel-de-Napierville.

Pourquoi me dérange-t-elle?

Parce que dans cette partie, de plus en plus, on trouve, en plus des légumes réellement d'ici, des produits qui n'ont rien de régional. Des mangues, des citrons, des bananes, des avocats... Des tomates venues de loin, qu'on coupe et qu'on sale pour les faire goûter aux passants. De l'ail chinois.

Comprenez-moi bien, j'adore les mangues et les bananes.

Mais pouvez-vous me dire pourquoi j'achèterais des mangues au marché Jean-Talon plutôt qu'à la fruiterie du coin?

Sont-elles plus sauvages, plus naturelles, plus terroir? Aucunement. Ce sont exactement les mêmes mangues que l'on trouve au supermarché ou dans les fruiteries qui ont pignon sur rue.

Or, un marché devrait être d'abord et avant tout un endroit où l'on donne l'occasion aux producteurs d'une région entourant une ville ou un village de venir vendre leurs fruits et légumes. Si on veut les aider dans leur mise en marché, si on veut participer à l'amélioration de notre autonomie alimentaire, ce serait la moindre des choses de leur réserver cet espace.

Les mangues n'ont pas besoin d'un étal en plein air. Les courgettes bios ou les poireaux miniatures de la petite ferme de Lanaudière ou de Montérégie, oui.

Si la Corporation de gestion des marchés publics de Montréal, une société formée de revendeurs, de fermiers et de commerçants de tous les marchés de la métropole, ne peut faire seule une révision du mandat de Jean-Talon et des autres marchés municipaux pour qu'on accueille et protège les fermiers vendeurs comme M. Rémillard, alors que la Ville, qui est propriétaire du terrain et des bâtiments, s'en mêle.

New York a des règles strictes pour que ses marchés publics ne vendent que des produits régionaux. Pourquoi pas nous?

L'affaire sur laquelle a écrit ma collègue Marie Allard cette semaine est absurde. La Corporation impose 200$ d'amende par jour à M. Rémillard parce que son camion est trop long de 60 cm. Lui réplique qu'il a toujours eu un camion de ce format et qu'il est au marché depuis 1976.

Mais est-ce le camion qui dérange ou les idées de M. Rémillard, qui croit, lui aussi, qu'il faut redéfinir la mission du marché pour mieux encadrer et assurer la vente des produits régionaux?

Hier, une pétition a commencé à circuler, lancée par Hélène Choquette, réalisatrice d'un documentaire sur le marché. La demande de la pétition: une plus grande transparence de l'étiquetage des produits au marché.

Ce qu'on exige, c'est que l'origine réelle des produits soit affichée.

Actuellement, il y a toutes sortes de contournements du concept. Des fermiers régionaux, par exemple, «complètent» leur offre avec des produits achetés au Marché central ou dans d'autres fermes plus éloignées. Et puis il y a le flou entretenu par la simple possibilité de vendre des produits importés au marché.

Dans certains quartiers de la ville où l'offre en fruits et légumes est plus limitée, il est compréhensible que certains marchés publics deviennent de grandes fruiteries. À ce moment-là, ils jouent un rôle précis et très utile: rendre accessibles ces produits frais. Qu'on les laisse vendre des oranges et des citrons.

Mais est-ce nécessaire au marché Jean-Talon, au marché Atwater, ou alors dans des quartiers comme Côte-des-Neiges, où il y a déjà d'autres commerces qui vendent fruits et légumes en abondance?

Non.

Parce qu'il faut, je le répète, offrir des débouchés commerciaux à nos producteurs régionaux, dont plusieurs se cherchent des vitrines au détail, en ville.

On veut être certain d'avoir tout ce qu'on cherche comme produits frais, tous les jours, en toutes saisons, au marché municipal? Ce n'est pas ça, un marché. Ça, c'est une épicerie ou un supermarché.

Hier, un lecteur m'a fait bien rire en disant que l'acharnement de la Corporation des marchés contre M. Rémillard semblait indiquer que Montréal était en train d'adopter l'attitude de Drummondville.

Il faisait référence, évidemment, à ce luxuriant potager installé en façade dans une zone résidentielle de cette ville et qui a déclenché toute une polémique puisqu'on l'a d'abord interdit.

Sauf que voilà, Drummondville a changé d'idée.

Après avoir insisté sur le fait que le règlement municipal ne permettait pas de faire ainsi pousser des radis et des laitues devant une maison, la Ville donne maintenant un répit au couple de jardiniers qui a lancé le débat.

Le potager en façade sera permis mais balisé, a dit lundi la mairesse, Francine Ruest-Jutras. Il faudra attendre au printemps pour connaître les nouvelles règles.

Bravo. Il y a juste les fous qui ne changent pas d'idée. N'est-ce pas, la Corporation de gestion des marchés?