Le moins qu'on puisse dire, c'est que le printemps montréalais n'est pas banal.

Traverser la ville est devenu une aventure.

Quand on ne tombe pas sur des affrontements violents entre manifestants et policiers, ce sont des citoyens joyeux en train de frapper de la casserole qui occupent la rue, ou on rencontre des amoureux de Formule 1 en train de se faire photographier devant une Bugatti millionnaire rue Sherbrooke, là où le Ritz vient de rouvrir, là où le célèbre chef franco-new-yorkais Daniel Boulud vient de s'installer. Et quand on ne tombe pas sur Francis Ford Coppola ou Arianna Huffington à l'aéroport, c'est la star du foot David Beckham qui mange au Pied de cochon.

La cuisine de rue qu'on croyait interdite se faufile dans les interlignes des règlements pour créer ses pique-niques ici et là, que ce soit à la la place Émilie-Gamelin ou au Parc olympique.

Les FrancoFolies commencent. Les marteaux-piqueurs et les pluies torrentielles se font aller dans mille rues, tunnels et chantiers, créant partout des bouchons qui rivalisent avec ceux créés par les manifestants aux carrés rouges, soient-ils habillés ou flambant nus.

Bref, de la ville de Dorval à la rue Viau, en passant par Saint-Laurent et Crescent et plus encore, la ville refuse d'être ennuyante. Grave, douloureuse, tendue, mais souvent joyeuse, superficielle, profonde, allumée, à la fois macho et hystérique, elle nous inquiète peut-être un peu parfois, mais nous comble surtout par ses humeurs multiples.

Cette ville est en vie. C'est fou.

«On vient de France, on sait ce que c'est», a dit Daniel Boulud, le chef, quand je l'ai rencontré hier après-midi à sa nouvelle table de la rue Sherbrooke Ouest, Maison Boulud. L'institution qu'il représente n'est pas exactement le genre que fréquentent les Gabriel Nadeau-Dubois de ce monde, mais contrairement à Jacques Villeneuve, il n'a pas un mot négatif au sujet des manifestations. «On me dit que ce soir ils seront masqués et nus, c'est génial», lance-t-il en riant. «Ils ont du courage, ici», ajoute-t-il, approuvé de la tête par le chef Riccardo Bertolino, grand responsable des fourneaux montréalais.

Bien sûr, les deux espèrent qu'il y aura bientôt entente pour la sérénité de tous, mais Boulud ne peut s'empêcher de poursuivre en lançant sa petite boutade à Québec. «Ils devraient demander à la SAQ de gérer le dossier. Parce qu'avec eux, oh oui, c'est géré serré!» Ce Français venu via les États-Unis découvre les joies de travailler avec un monopole.

Ce n'est pas un hasard si Daniel Boulud est à Montréal ce week-end. Ce chef adore la course automobile et il vient chaque année pour le Grand Prix. Il compte bien accueillir Michael Schumacher à son restaurant, Felipe Massa aussi. Et de nombreuses personnes de plusieurs écuries. Le restaurant est bien rempli pour le week-end. Joli départ pour la nouvelle table.

Inquiet de ce qui s'est passé avec l'autre star internationale de la cuisine venue ici récemment, Gordon Ramsay, qui est repartie au bout de six mois? «Je n'ai jamais trop compris ce qui est arrivé», répond-il. Boulud, lui, s'est cassé le nez à Vancouver il y a deux ans, mais est convaincu que Montréal est la bonne adresse. «Je n'aurais jamais dû aller à Vancouver, admet-il. Ici, c'est totalement différent. Montréal a une envergure unique.» Plus française, plus proche de New York en esprit...

D'ailleurs, le chef ne comprend pas que le Québec n'ait aucune table sur la fameuse liste des 50 meilleurs restaurants du monde publié par le magazine britannique Restaurant. Il ne croit pas que sa Maison Boulud montréalaise s'y retrouvera sous peu. Mais que Toqué! n'y soit pas le choque. «Normand [Laprise] a toujours maintenu un niveau qui lui permet d'être concurrentiel avec les grands. Il a une reconnaissance ici et au Canada, mais il n'a pas la reconnaissance internationale qu'il mérite. Il mérite plus», dit-il.

Pendant qu'on parle, le restaurant s'active. Les gens de Bugatti sont là et on entend parler italien. Dehors, rue Sherbrooke, vaut mieux se promener en BIXI qu'en cylindrée tellement il y a de la circulation. Dans Griffintown, on prépare le cocktail d'ouverture du Grand Prix, qui a lieu à L'Arsenal, nouvel espace d'exposition d'art contemporain aux airs de grand loft berlinois ou californien.

Dans la rue, pas loin de là où le symposium sur la créativité C2-MTL bouillonnait il y a 10 jours, des manifestants commencent à arriver pour se faire voir et entendre, tel que promis. L'affrontement s'en vient. Encore. La loi spéciale (78) n'y a rien changé.

Dans le quartier, on sort sur les balcons. On se pose des questions.

Chose claire: les sujets de conversation pour faire causette avec les voisins ne manquent pas. De Luka Magnotta au tunnel Ville-Marie bloqué, en passant par la commission Charbonneau, l'arrestation d'Amir Khadir et de sa fille, Guy Turcotte, Michel Therrien, les gaz lacrymogènes et les bolides valant des millions, les Montréalais ont de quoi échanger.

La ville twitte en grande, se heurte, s'amuse, chante et danse mais surtout, on voit bien qu'elle est dehors, dans la rue, pour mille raisons.

Ça ressemble à la fièvre du printemps. Et est-ce vraiment grave, docteur?