Quand nous sommes arrivées rue de Bleury dans l'après-midi, juste au nord de Sainte-Catherine, un gardien de sécurité bloquait la rue. Le temps de se demander ce qui pouvait bien se passer, deux limousines blanches aux vitres opaques ont filé devant nous. Ma fille, à côté de moi, s'est mise à pleurer. «Oh mon Dieu, c'est eux.»

Eux: One Direction.

Plus loin, une immense foule bigarrée, joyeuse mais poussant parfois un peu trop sur les clôtures de sécurité et qui se l'est fait dire, bloquait toute la rue Sainte-Catherine et une bonne partie du carrefour. Ces gens-là, ou plutôt ces jeunes filles-là, étaient sur place, certaines depuis 35 heures, pour voir le groupe de cinq jeunes garçons britanniques et irlandais, de passage aux studios de MusiquePlus.

Si vous vous êtes retrouvés coincés en voiture dans ce secteur, ne blâmez pas les étudiants en grève. Pensez plutôt aux élèves qui faisaient l'école buissonnière, car chers profs, si vos classes étaient plutôt clairsemées hier après-midi, ce n'était pas à cause d'une épidémie soudaine de grippe ou de varicelle: les jeunes étaient toutes là.

Certaines sont arrivées à l'aube avec leurs parents, comme Claudie, Kim et Christine de Victoriaville. Audrey-Anne, plus loin, était déguisée en chat, parce que Harry, un des chanteurs, aime bien ces bêtes. «Vous rendez-vous compte que vous respirez le même air?», a lancé l'animateur de foule de MusiquePlus.

Les cris sont montés d'un cran. Intense, cette nouvelle folie pour ce nouveau band inconnu il y a quelques mois?

Oui.

À un moment, vers la fin de l'émission de MusiquePlus, qui était diffusée en direct dans la rue, on a vu des ambulances arriver. Et je ne parle même pas de la prise de contrôle de tout le secteur, rues et trottoirs, par les fans rêvant de voir, ne fût-ce que quelques secondes, une de leurs idoles.

Décibels? Le petit appareil que j'utilise parfois pour mesurer le bruit dans les bars et les restos n'a jamais voulu me faire de lecture. Les hurlements des fans en délire semblent en avoir eu raison.

«J'ai connu la frénésie des Backstreet Boys et là, je pense qu'on est ailleurs», m'a confié Julie St-Pierre, l'animatrice de NRJ qui était sur place pour une émission diffusée aussi en direct. «Je crois que ce sont les réseaux sociaux qui ont permis au phénomène de grandir aussi rapidement.»

Dans la salle de MusiquePlus où se sont réunies les heureuses gagnantes de billets - c'est ainsi qu'on a attribué les 300 places en studio aux quelque 90 000 demandeurs - avant l'émission où on allait finalement voir les cinq gars, les images de petites filles sous le choc évoquaient celles de la Beatlemania qu'on a tant vues et revues en noir et blanc. De gros sanglots, des cris, le visage dans les mains, les tremblements. Les années ont passé depuis les Fab Four. Twitter, Facebook, YouTube et compagnie ont changé les moyens de partager passions et informations. Mais les émotions de l'ado qui voit enfin son idole demeurent universelles.

«Maman, sur YouTube, j'ai vu une image d'une fille qui s'évanouit parce que Zayn l'a touchée», m'a dit ma fille, qui semblait pas mal plus prête que moi à toute cette frénésie et qui me servait d'interprète de la culture «1D». Sans elle, je n'aurais jamais su qui était qui et je n'aurais jamais compris pourquoi un fan portait un abat-jour sur la tête (allusion à un voyage à Paris) ou que signifiaient ces allusions aux chats, aux carottes, aux Marlboro...

Ce n'est pas juste un band, ce groupe, c'est toute une sous-culture relayée par l'internet, loin des radars des X, des Y, des boomers, et qui a pris d'assaut une génération qui n'a jamais connu le monde sans texto ni Google. Et parfois aussi leurs grandes soeurs.

Et puisque les garçons - surtout Niall et Harry - se sont bien amusés avec les cadeaux humoristiques que les animatrices de MusiquePlus, Tatiana Polevoy et Chéli Sauvé-Castonguay, leur ont remis, combien on parie que caleçons rouges, bâton de hockey et sirop d'érable feront bientôt partie de ces codes, de ces mots secrets qui partagent maintenant le monde en deux: les «directioners» et tous ceux qu'ils soûlent de leur passion d'un côté. Et le reste de la planète de l'autre.