«Calice.» S'il y a un mot qu'on ne s'attendait pas à entendre dans le grand retour de la série culte américaine Mad Men, c'est bien celui-là. Et bien senti, en plus. Celle qui le lance est la nouvelle femme du héros Don Draper, Megan, une Montréalaise comme Jessica Paré, l'actrice qui l'incarne. Détail? Pas du tout. Dans les deux premiers épisodes de la cinquième saison diffusés dimanche soir sur AMC et téléchargeables depuis hier sur iTunes Canada, la langue maternelle de Megan joue un rôle de premier plan.

Le moment-clé de ce retour tant attendu après 17 mois de pause est en effet un numéro interprété par Paré, où celle-ci tente de faire plaisir à son homme lors d'une soirée en chantant lascivement Zou Bisou Bisou, une chanson française délicieusement représentative de l'aube de la révolution sexuelle, cette année 1966 où est maintenant rendu le scénario.

Le moment de télévision aussi décalé que suggestif a fait un tabac. Partout sur le web, on a commencé à en parler dès dimanche soir. Le clip sur YouTube est devenu viral, ce qui tombe bien car non seulement la chanson est maintenant en vente sur iTunes, mais AMC sort un disque 45 tours vinyle.

Mad Men a frappé juste, une fois de plus.

Pas étonnant que le lancement de série ait attiré 3,5 millions de téléspectateurs, contre 900 000 à ses débuts, en 2007, où on était loin de se douter qu'une émission remplie de publicitaires alcooliques, fumeurs, sexistes et adultères (et parfois aussi racistes et homophobes) allait autant nous captiver.

Après avoir traversé la mort de Marilyn Monroe, la crise de la baie des Cochons et l'assassinat de Kennedy, Mad Men est maintenant rendu en 1966. Et impossible de l'oublier. Que ce soit en admirant la déco du bureau du patron Roger Sterling, avec son lampadaire Castiglioni, ou en écoutant la mère de la super secrétaire Joan Holloway entretenir sa fille de son devoir d'épouse. Aller travailler alors que tu as un bébé? «Mais voyons, ton mari ne te le permettra pas.»

Mais s'il est impossible d'oublier qu'on est 1966, c'est surtout parce que nos personnages entrent de plain-pied dans la transformation des relations raciales aux États-Unis. Dès le début de la première émission, pour narguer un concurrent, l'agence de Sterling, Cooper, Draper et Pryce s'affiche comme un havre d'égalité dans l'emploi.

Les prochains épisodes nous feront découvrir où tout cela va mener.

Mad Men a été absente des ondes pendant près d'un an et demi, mais on l'a retrouvée avec délice. La direction artistique laisse un peu plus de place aux couleurs vives. Les faux cils sont de plus en plus longs. Et l'écriture se poursuit avec toute sa pertinence, combinaison acidulée de reconstitution historique, de comédie coquine et de critique sociale en forme de miroir. Il n'y a rien comme montrer l'absurdité de nos façons de vivre de jadis pour montrer comment on a changé... ou si peu, semble dire son créateur, Matthew Weiner.

Si les premières saisons ont beaucoup mis l'accent sur l'inégalité entre hommes et femmes dans les années 60, à travers des personnages comme Betty, la mère de famille étouffée qui ressemble tant à celle décrite par la féministe américaine Betty Friedan dans La femme mystifiée, ou alors en nous montrant Peggy, celle qui veut travailler comme un homme, allergique à la maternité, mais qui se heurte à de nombreux obstacles, la cinquième saison semble vouloir élargir son regard sur les transformations sociales. La question raciale est au premier plan. La question de la liberté aussi. On sent que par le personnage de Megan arrive le désir d'une vie moins coincée, plus heureuse et créative dans tout son sens contre-culturel.

Au second plan, il y a aussi Peter Campbell, l'ambitieux publicitaire qui incarne l'autre voie, celle qui privilégie l'argent, les promotions, la réussite, mais surtout son image.

Et puis il y a Lane, le Britannique qui a choisi de rester aux États-Unis, attiré par cette liberté sociale qu'il a perçue dès le premier jour, Lane que l'on a appris à apprécier quand on l'a su amoureux d'une Playboy Bunny noire. Eh bien, le regard de Lane semble vouloir lui aussi nous emmener encore ailleurs, de l'autre côté des frontières culturelles, socio-économiques, ethniques.

Oui, la série Mad Men est bel et bien revenue.