Si vous allez sur le site web de l'Office de consultation publique de Montréal, vous pourrez aisément trouver une vidéo invitant la population à discuter de l'avenir de Griffintown. On nous invite à «débattre», en indiquant qu'«une discussion est en cours». On devine que c'est une discussion publique, collective.

Sauf que ce qui est surtout «en cours» pour Maskull Lasserre, Jonathan Villeneuve et les six autres artistes avec qui ils partagent un studio, rue William, ce n'est pas du tout un échange ni une conversation ouverte, c'est un déménagement.

Le propriétaire de l'immeuble où ils logent les a avisés que leur présence n'était plus requise. À la mi-février, on leur a dit qu'ils avaient jusqu'au 1er mai pour plier bagage, avec leurs outils et leurs oeuvres. «Ils en font des bureaux», indique Lasserre. «Tout ça est plutôt terrible.» (J'aurais aimé que le propriétaire m'en dise plus long, mais il n'a jamais répondu à mes multiples appels et courriels pour donner sa version.)

Lasserre, un sculpteur exposé actuellement au Museum of Arts and Design à New York et prépare une autre expo en Caroline-du-Nord s'est installée dans cet espace il y a quatre ans. «Mon studio, c'est tout», dit-il. «C'est bien plus important que mon appartement. Ce serait beaucoup moins grave de perdre mon logement. On perd une partie de notre vocabulaire. La disruption est gigantesque.»

Lasserre n'a pas encore trouvé un lieu où déplacer ses pénates qui sont volumineuses avec ses pianos reconstruits et ses soudeuses, mais il cherche, et cherche.

Il cherche son nouvel espace en même temps que les commissaires de l'Office de consultation publique cherchent, eux, comment condenser et organiser tout ce qu'ils ont entendu depuis le début de leurs travaux de sondage public en janvier. Le but est d'en faire des recommandations pour Griffintown qui seront à leur tour étudiées par la Ville avant que celle-ci ne produise une nouvelle réglementation pour l'urbanisme du secteur, réglementation qui sera à son tour soumise à la consultation...

Combien on parie que, malgré ses difficultés, Maskull et des tas d'autres artistes du quartier auront le temps de trouver un autre espace, ailleurs, ou même le temps de déménager à l'autre bout du monde s'il le veut, avant qu'un réel cadre soit mis en place pour le développement urbain de ce secteur?

Et si le fruit de la consultation et de la cogitation finit un jour par dire qu'il faudrait trouver des moyens de garder les artistes dans le voisinage pour conserver son caractère et sa diversité, comme le Mile-End a décidé de le faire, eh bien apparemment, il sera trop tard...

Je sais que vous êtes encore quelques-uns à croire qu'une consultation, même tardive, c'est mieux qu'aucune consultation. Mais cette situation est d'une incroyable absurdité.

La «gentrification» est en marche à plein régime. Près d'un milliard et demi de dollars sont déjà engagés dans des projets résidentiels qui sont en chantier. Allez marcher le long du canal et vous verrez aisément les tas de terre.

Et les propriétaires des immeubles existants sont déjà en train de planifier leur avenir dans un univers socioéconomique urbain totalement différent.

Consulter, on fait ça avant. On fait ça quand il y a encore de la marge de manoeuvre pour que tous les scénarios soient réellement envisageables. Pour s'assurer qu'il y aura de l'espace à loyer modique pour les artistes comme on en trouve à Berlin ou à Toronto, si c'est ça qu'on veut. Et pour les familles et pour les ménages à revenus limités, si c'est cela le fruit de ladite consultation.

Si on met tout en place pour qu'un quartier devienne une sorte de version modifiée d'un centre commercial géant nouvelle génération, on ne fait pas semblant, ensuite, d'être plein de bonne volonté et de demander l'avis de tout le monde.

Et maintenant Blue Bonnets

Hier, on a appris que Québec et Montréal s'étaient finalement entendus sur la cession par la province à la Ville de ces terrains situés à l'ouest du boulevard Décarie, tout juste au sud de la Métropolitaine. L'entente prévoit un partage de revenus lorsque les terrains seront vendus à des promoteurs privés pour du développement résidentiel. On pense, a dit la Ville, construire entre 5000 et 8000 logements.

S'il y a en moyenne deux personnes par logement, on parle d'une nouvelle communauté qui pourrait accueillir jusqu'à 16 000 personnes. C'est beaucoup de monde.

Est-ce nécessairement une mauvaise idée? Pas du tout.

Si le développement est fait avec intelligence, créativité, modernisme, profondeur comme ça se fait ailleurs dans d'autres villes de taille semblable dans le monde, c'est une bonne nouvelle.

Mais inutile de préciser que contrairement à Griffintown, il faudra que de réelles consultations aient lieu, bien avant que les constructeurs aient tout décidé.

Photo: Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Le propriétaire de l'immeuble où des artistes logent les a avisés que leur présence n'était plus requise.