Québec se prépare pour un référendum. Dimanche, près de 5000 résidants de la capitale se prononceront sur l'avenir d'un projet résidentiel dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, une tour d'habitation de neuf étages qui déchire non seulement la vue vers l'horizon et les Laurentides, mais toute une communauté.

Comme à la Petite Rivière, ce projet immobilier vert entre Lachine, Montréal-Ouest et Côte-Saint-Luc, on fait face, en effet, à un choix entre un oui à un projet de compromis bien ficelé et un non protégeant le statu quo, mais ouvrant la porte vers l'inconnu, pour le meilleur ou pour le pire.

Certains diront qu'on est ici devant le bien et le mieux. Devant un compromis honorable et une immobile intransigeance.

Peu importe comment on cherche à le résumer, le débat est douloureux.

D'un côté, il y a ceux qui s'opposent totalement au projet. Le camp du non. Ceux qui ne veulent pas de la tour de neuf étages que propose de construire GM Développement, la société de Geneviève Marcon bien connue pour ses investissements dans la relance d'un autre quartier pas loin, Saint-Roch.

Selon les «anti», le projet de neuf étages, pour lequel il a été nécessaire de demander une dérogation au zonage, est trop gros. Beaucoup trop gros pour ce quartier historique, le faubourg Saint-Jean-Baptiste, ce charmant ensemble de petites rues accrochées à la falaise, d'immeubles modestes de deux ou trois étages, parfois un peu empilés les uns sur les autres, où le toit de l'un devient la terrasse de l'autre, donnant ainsi à l'ensemble un charme presque napolitain. Avec vue sur les Laurentides au loin.

De l'autre, il y a les «pro». Ceux qui trouvent que ce terrain vacant bétonné, soutenu par un mur aveugle, dénivellation oblige, est un îlot de chaleur déplaisant et inutile dont on ferait bien meilleur usage en y construisant un immeuble écolo avec murs et toits verts, comprenant certes de beaux appartements, mais aussi une coopérative d'habitation de 20 logements.

Le plus intéressant, dans ce débat, c'est qu'il ne fait pas dans la caricature, avec d'un côté les traditionnels constructeurs capitalistes aux dents longues et, de l'autre, les gentils citoyens voulant sauver arbres et patrimoine.

D'abord, il n'y a pas d'arbres ni de demeures ancestrales sur le terrain. Il n'y a que du béton. Et une vue magnifique.

Et des citoyens, il y en a des deux côtés.

L'affrontement n'est pas entre le noir et le blanc, mais entre le vert et le vert ou l'orange et l'orange.

Des deux côtés, on se proclame du développement responsable, écolo, équitable...

Donc les anti trouvent que l'immeuble bloquera la vue et transformera l'équilibre architectural et urbain. Que les meilleurs logements, avec les meilleures vues, iront aux riches et bloqueront l'horizon pour le reste... Tandis que les pro parlent du logement social supplémentaire et d'un effort nécessaire de densification urbaine en accord avec les principes de développement durable.

La querelle est profonde et très personnalisée. Comme elle s'est déplacée non seulement devant les tribunaux - le promoteur accuse notamment certains citoyens d'avoir diffusé des images trompeuses du projet -, mais aussi sur YouTube, vous pouvez aller faire un tour sur ce site de vidéos pour voir les visages du débat. Vous y verrez des défenseurs du projet, dont une dame, Claire Vézina, membre de la coopérative La face cachée, qui y explique son impatience de voir le projet de logements sociaux débloquer.

Et sur YouTube toujours, vous pourrez aussi entendre la voix du non qui chante une chanson, «Li Li Li L'Îlot». Malheureusement, il sera difficile de dire de cette oeuvre particulière qu'elle a un charme irrésistible, mais d'aucuns y sentiront malgré le fond techno un peu lounge une certaine admiration pour le travail militant d'un Raôul Duguay ou d'un Richard Desjardins. Quelque chose dans la voix et dans le ton du texte...

Lundi dernier, le projet a reçu un appui de taille, celui de Vivre en ville, un organisme qui cherche à encourager le développement urbain durable. Le groupe se prononce rarement sur des projets particuliers, mais selon son président, Alexandre Turgeon, il fallait intervenir pour parler de l'importance de savoir dire oui, parfois, aux bons compromis comme celui-là, qui est le fruit de réels échanges, longs et exhaustifs, entre le promoteur, la Ville et les citoyens - du moins ceux représentés par le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste.

N'y a-t-il pas un proverbe qui dit que le mieux est souvent l'ennemi du bien?

On ne fait pas la paix avec ses amis, mais avec ses ennemis», a dit un jour Yitzhak Rabin, premier ministre israélien assassiné. C'est peut-être un peu lourd comme citation à insérer dans un débat urbain. Pardonnez-moi. Mais dans les chicanes de clôture comme dans les grands conflits, il faut parfois se tenir debout très fort et parfois savoir, à un certain moment, lâcher prise. Ça vaut à Québec, ça vaut à Montréal aussi, évidemment. C'est tout ce que j'essaie de dire. Et je suis sûre qu'on aura l'occasion d'en reparler.