Si vous essayez, comme moi, de faire du jogging à l'extérieur par les temps qui courent, vous saurez tout de suite quel est ce sentiment: celui de reculer un peu chaque fois que l'on pose le pied à terre pour avancer. Verglas, neige, glace... On bouge, on bouge, mais la propulsion est pénible, car l'énergie dépensée est souvent perdue. On glisse sans prise.

C'est à cette frustration saisonnière que j'ai pensé l'autre jour en allant voir La Dame de fer, le nouveau long métrage de Phyllida Lloyd avec Meryl Streep, consacré à la vie et à l'oeuvre de l'ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher.

Choisie chef du Parti conservateur britannique en 1975, élue première ministre de la Grande-Bretagne en 1979, Mme Thatcher a été la première femme à diriger une grande puissance occidentale. Depuis, il y a eu Angela Merkel en Allemagne. C'est à peu près tout. Kim Campbell a dirigé le Canada pendant quatre mois. Édith Cresson a été numéro 2 en France pendant 11 mois. Durant quelques mois, en 2007 et 2008, on a cru que peut-être les États-Unis auraient une présidente féminine en élisant Hillary Clinton, mais la révolution n'a pas eu lieu.

Les femmes avancent vers le pouvoir politique, mais ciel qu'elles reculent aussi! Les pas en avant sont plus ardus les uns que les autres.

Auriez-vous cru, en 1990, au moment du départ de Mme Thatcher, que 20 ans plus tard les pays du G8 seraient encore là où ils en étaient, sans candidate féminine à l'investiture républicaine - Michele Bachmann s'étant officiellement retirée de la course le 4 janvier dernier -, sans l'ombre d'une femme leader sur la scène fédérale canadienne? En fait, heureusement qu'il y a Mme Merkel à Berlin. Sans elle, on serait pratiquement revenus derrière la ligne de départ.

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Vous me direz que tout n'est pas figé. Depuis l'imposant règne de Mme Thatcher, l'idée d'une femme au pouvoir a fait du chemin, un peu. Aujourd'hui, trois provinces et territoire canadiens sont dirigés par des femmes. Pauline Marois est chef du Parti québécois et oui, il y aura plusieurs femmes candidates à la présidentielle française, en commençant par Marine Le Pen du Front national.

Mais justement, entre Sarah Palin, Mme Le Pen, Mme Bachmann et autres «mamans grizzlis», y a-t-il une règle non écrite, peut-être inscrite dans l'Histoire par Mme Thatcher, justement, selon laquelle, pour être prises au sérieux, en politique, les femmes n'ont pas le choix d'être à droite, et souvent très à droite? Comme si, ainsi, leur ordre du jour conservateur venait compenser, même apaiser la menace féministe perçue chaque fois qu'une femme s'approche du pouvoir... Doit-on, lorsqu'on fait un pas pour la percée des femmes en politique, reculer de trois pas pour les questions sociales?

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Au-delà de son militarisme et de son monétarisme d'une grande dureté, Mme Thatcher croyait d'abord et avant tout férocement à l'individualisme, au droit de réussir par soi-même, et cela, The Iron Lady le rappelle très bien, surtout qu'une telle pensée était révolutionnaire après des décennies de keynésianisme et de politiques sociales issues de l'esprit solidaire du New Deal américain et de la philosophie Labour britannique née des excès de la révolution industrielle.

Cet individualisme a été très critiqué par bien des féministes qui ont toujours soutenu que les femmes ne pouvaient faire leur place dans la société autrement que par l'action collective et la solidarité. Mais avec le recul, cet individualisme est maintenant aussi loué par d'autres écoles féministes qui croient que c'est grâce à la souplesse de l'action non collective que bien des femmes ont réussi à briser des plafonds de verre.

Ainsi, dit-on, l'entrepreneuriat encouragé par les mesures thatchériennes a permis aux femmes de se faire une place dans le monde des affaires. Et la perte de pouvoir des syndicats a aidé les femmes à avoir accès à des emplois autrement bloqués par la rigidité d'un monde du travail coincé dans le corporatisme. En regardant le film, on se demande si ce qui motivait Mme Thatcher n'était pas, justement, la conviction profonde que les structures collectives nuisent aux femmes plus qu'elles ne les aident. Et qu'il n'y a que laissées à elles-mêmes dans un contexte concurrentiel parfaitement libre qu'elles sont les plus aptes à défendre leurs compétences et à prouver leur égalité.

Plus de 20 ans après le départ de Mme Thatcher, la route des femmes vers le pouvoir politique n'a jamais été aussi floue. Doivent-elles afficher leur féminité et mettre en valeur leur différence, doivent-elles être solidaires des autres femmes à tout prix, doivent-elles être totalement aveugles au genre pour mettre de l'avant de réels concepts d'égalité? Sont-elles obligées d'être de droite pour ne pas faire peur? Doivent-elles essayer de changer les règles du jeu de la politique ou, au contraire, faire leur place de façon traditionnelle pour protéger crédibilité et légitimité aux yeux de la vieille école?

Plus de 20 ans après le départ de Mme Thatcher, analyser son passage en politique est totalement fascinant. Car entre percées et nombreux reculs, les réponses à ces questions, on les cherche et on les cherche. Et elles n'ont jamais été moins claires.