Le drame qui est survenu en Gaspésie cette semaine n'est peut-être pas aussi noir et blanc qu'on l'a d'abord cru, mais certaines choses restent claires. Il y a eu des propos tragiquement blessants et déplacés de vive voix et sur l'internet. Il y a eu querelles et bousculades. Et il y a eu un suicide.

Une jeune femme est morte et des adolescents ont appris cette semaine des leçons sur les versants sombres de la vie qu'ils n'auraient jamais dû avoir à encaisser aussi jeunes.

Aurait-on dû mieux les protéger, les encadrer? Ceux qui flanchent, évidemment, et qui disent adieu à la vie. Mais aussi les autres.

Aide-t-on assez nos enfants à ne pas devenir des harceleurs? À voir leurs camarades en détresse? À ne pas écrire des horreurs sur l'internet?

Lorsqu'on constate que les supposés «intimidateurs» du drame gaspésien deviennent à leur tour victimes de la haine sur le web, on est obligé d'arrêter de se demander qui est du bon ou du mauvais côté de la tragédie pour se poser des questions bien plus fondamentales. De toute évidence, il y a des messages de tolérance, de générosité, d'altruisme, qui ne passent pas.

Ou qui ne sont jamais communiqués aux jeunes.

Où sommes-nous, les parents?

Sommes-nous au courant de ce que fait notre progéniture lorsqu'on a le dos tourné? Encadrons-nous suffisamment nos petits? Savons-nous aller chercher de l'aide?

Peut-on aller jusqu'à dire que, derrière chaque intimidateur, il y a un parent qui ne fait pas son travail? Ou y a-t-il derrière chaque bourreau un parent tout aussi désemparé que celui de la victime, qui a perdu le contrôle sur son ado et ne sait plus où chercher une solution?

L'abondante littérature universitaire sur la question du bullying nous dit que les parents complices, soit tout à fait conscients des méfaits en cours, soit tout simplement endormis au volant, ils existent bel et bien.

Les articles publiés sur la question par des équipes de chercheurs en psychologie, notamment, montrent que les parents des bullies peuvent, dans certains cas, être très permissifs. Sans références, sans balises, sans suivi, l'apprentissage sain des relations interpersonnelles est difficile. Dans ces environnements, frères et soeurs, laissés à eux-mêmes, peuvent en outre développer des modes d'interaction liés au bullying qui seront reproduits à l'extérieur. Le double statut bully-victime n'est pas rare.

Mais la famille de l'intimidateur peut aussi être une famille ultrasévère, où des parents très autoritaires transmettent aux petits un modèle de relations interpersonnelles basé lui-même sur l'intimidation. On imagine alors une famille qui valorise l'agressivité et où on ne félicite jamais les comportements empreints de générosité et d'altruisme.

Souvent, la famille de l'intimidateur est froide émotionnellement et détachée de sa communauté et des mécanismes de socialisation venant des proches. On note aussi que les familles où il y a des conflits entre les parents sont des terreaux plus fertiles pour les intimidateurs.

Le bullying est aussi une façon d'agir qui se transmet de génération en génération, croit James Holmes, psychologue émérite et l'un des nombreux professeurs universitaires américains à s'être penchés sur la question de l'intimidation. «L'intimidation, a-t-il écrit, est associée aux familles où les gens ne se traitent pas avec respect et où on n'apprend pas aux enfants à respecter les droits des autres.»

Bref, on peut blâmer les adolescents intimidateurs autant qu'on le voudra. Et il est crucial que les jeunes, à 14, 15 ans ou 16 ans, prennent leurs responsabilités sérieusement. Il n'est pas question de les délester de ce fardeau qu'ils devront porter toute leur vie, surtout si leurs victimes, comme ce fut le cas en Gaspésie, vont jusqu'à s'enlever la vie.

Mais nous, les parents, avons une famille à bien gérer, des tâches à accomplir, un rôle à assumer.

Et lorsqu'on lit les horreurs écrites sur l'internet au sujet de ce drame, tant avant qu'après, on ne peut que se demander: où sommes-nous?

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Nous avons la responsabilité, comme adultes, d'intervenir lorsque nous sommes témoins d'intimidation. Et pas juste si notre enfant en est victime. Si on constate que notre enfant dérape et harcèle, là aussi, il faut clairement intervenir, agir pour arrêter le crime et, muni d'un solide miroir pour se regarder soi-même, chercher à comprendre ce qui a bien pu le mener là.

Si notre enfant n'est ni victime ni bourreau, mais que l'on voit les intimidateurs agir au loin, où doit-on tracer la ligne entre le «je ne me mêle pas de ce qui ne me regarde pas» et le «cela fait partie de mes responsabilités citoyennes et humaines d'agir» ? La question est difficile, mais doit néanmoins être posée haut et fort.

Malgré leur âge et tous les droits et responsabilités que leur accorde déjà la société, ces mini-adultes que nous appelons les ados ont encore besoin de se faire éduquer sur la vie en société. Nous devrions tous avoir le courage de nous mêler de ces tristes affaires, quitte à avoir l'air de la mère ou du père le moins cool de toute l'école.

Ce n'est pas toujours facile, mais essentiel.