Le chiffre est surprenant, mais c'est celui du président de l'Union des producteurs agricoles: 2%. Au Québec, seulement 2% de la superficie totale du territoire est consacrée à l'agriculture. Et comble de malheur, une bonne partie de ces terres sont à Montréal, moteur économique de la province.

Dans la métropole - et gens de la Rive-Sud et de Laval ou de la banlieue nord, vous avez raison de vous sentir aussi visés - nous habitons, nous travaillons et nous faisons notre magasinage sur d'excellentes terres arables. Parlez-en aux mauvaises herbes.

Sur ces champs qui accueillent aujourd'hui mégacentres commerciaux, construction immobilière en tous genres et routes bitumées, nous pourrions faire pousser du melon, des haricots fins, ou élever des agneaux.

Ce paradoxe, on ne peut pas le déconstruire. On ne déménagera pas Montréal sur un tas de roches. Mais on peut chercher à le neutraliser partiellement, en arrêtant d'accorder un peu partout la permission de convertir d'anciens champs en garages triples de McManoir ou en stationnements d'une pertinence architecturale inspirée de celle du Carrefour Laval.

Mercredi matin, une coalition formée notamment par l'UPA, la Fondation Suzuki et l'Ordre des architectes, a demandé officiellement à la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) de protéger ce qu'il lui reste de territoires agricoles. Le groupe a exprimé ce souhait en marge de la consultation publique menée actuellement par la CMM sur son futur Plan métropolitain d'aménagement et de développement.

Selon ces acteurs, il y a actuellement bien assez de terrains «zonés blancs» pour héberger la population actuelle et future, dont 16 000 hectares - l'équivalent de trois Blainville - non construits. Sans parler de la densité qui pourrait être augmentée à plusieurs endroits.

On est bons pour 20 ans, disent-ils. Le moratoire de cinq ans sur la conversion de terres agricoles inclus dans le Plan, n'est pas suffisant.

La position de la coalition entre en collision frontale avec celle de l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), qui demande, elle, qu'on diminue plutôt la superficie agricole protégée. Selon l'APCHQ, c'est nécessaire pour satisfaire la demande en logements des 320 000 ménages qui chercheront un toit d'ici 20 ans. Les constructeurs parlent même d'une éventuelle pénurie.

Les architectes ne voient pas du tout ça du même oeil. Selon le président de l'Ordre, André Bourassa, on n'a pas nécessairement besoin de convertir notre garde-manger en condo, pour satisfaire tout le monde. Il suffit de construire différemment, sur l'espace qui est déjà là. De trouver de nouvelles idées.

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L'appel de l'UPA et de l'Ordre des agronomes du Québec - aussi pro-zonage vert - doit être entendu. On s'est trop longtemps imaginé, en important nos aliments de partout, qu'on n'avait pas à s'inquiéter de nos terres montréalaises car il y aurait toujours ailleurs des terroirs à cultiver. La population de la planète entière croît à un rythme qui nous impose de respecter tous les espaces fertiles. Surtout que faire venir les denrées de l'autre bout du monde est de moins en moins un choix écologiquement - voire économiquement - sensé.

La prise de position des agriculteurs était toutefois prévisible. Celle des architectes, elle, est plus inattendue et réellement intéressante, car elle fait ressortir à quel point construction et développement n'ont pas à rimer automatiquement avec étalement urbain.

Les architectes n'ont pas intérêt à ce qu'on cesse de construire des maisons. Mais ils ont intérêt à ce qu'on cherche de meilleures idées. Et des idées, on en a besoin pour amorcer une nouvelle ère intelligente dans le monde de la construction. Une ère où il y aurait une nouvelle profondeur dans la conception des espaces habitables, afin que ces logements de demain répondent aux besoins de nos vies de demain et non pas d'hier ni même d'aujourd'hui.

Donnons donc aux architectes le mandat de construire des logements qui ne s'installeront pas dans le potager et qui augmenteront avec sagesse et audace la densité résidentielle des territoires que nous avons déjà. Parlons-en aussi aux urbanistes et aux ingénieurs qui souhaitent innover et créer de meilleurs espaces de vie. Ensemble, ils trouveront des solutions. Des solutions intelligentes que les constructeurs pourront ensuite bâtir, autant qu'ils le voudront.