Quand je vais au restaurant, je pose systématiquement la question: «Ce poisson (saumon, flétan, espadon, bar, etc.), d'où vient-il?»

La plupart du temps, le serveur me regarde avec l'air inquiet d'un étudiant qui vient de se faire poser une colle.

Parfois, on me fournit une réponse sérieuse. «C'est du saumon sauvage de la Colombie-Britannique, du chinook.» Parfois, la réplique est désarmante. «C'est du saumon bio pêché dans l'Atlantique», ai-je déjà entendu d'un garçon bien intentionné qui voulait visiblement me rassurer sur la rectitude non industrielle du contenu de ses assiettes.

Le problème, c'est qu'un poisson ne peut pas être étiqueté «bio» s'il est pêché dans la mer à l'état sauvage et qu'il n'y a pratiquement plus de saumon atlantique - c'est une espèce, et non plus une provenance - dans l'Atlantique. La seule façon de manger du saumon atlantique sauvage, c'est d'aller le pêcher soi-même, en Gaspésie ou sur la Côte-Nord, notamment. Et cela doit être pour sa propre consommation. Pas pour un resto.

Que ce serveur, s'il se reconnaît, ne s'en fasse pas. Il n'est pas le seul, loin de là, à avoir de la difficulté à dompter le sujet.

Voilà plusieurs années maintenant qu'on s'interroge sur la provenance de nos poissons, la surpêche et les choix que l'on peut faire comme consommateur, mais cette préoccupation commence à peine à faire partie de notre quotidien. Même les mordus peinent à s'y retrouver.

Les restaurants qui maîtrisent réellement le dossier, comme Toqué! ou le Saint-Urbain, Kitchenette ou Laloux, entre autres, se comptent sur les doigts d'une main.

En savoir assez pour faire aisément ses choix, au restaurant, au supermarché ou à la poissonnerie, demande tout un apprentissage.

L'espèce, la saison, la provenance... Les données sont multiples. Un simple saumon devient une bête multidimensionnelle. Est-il bio, est-il sauvage, est-il d'élevage? De quel type d'élevage? Et s'il est bio et vient de loin, ne laisse-t-il pas une trace écologique encore plus grande que les industriels locaux? Lequel privilégier? Est-ce du chinook, du sockeye?

La plupart des gens, devant cette complexité, baissent les bras.

On les comprend.

Pourtant, si on veut pouvoir encore manger du poisson dans 50 ans, il faut commencer à creuser. Devant un plat de morue au restaurant, il faudrait se demander comment il se fait que, malgré le moratoire, il y en ait encore dans notre assiette? D'où vient-elle? Où en pêche-t-on encore? Et devrait-on encourager cette pratique en en mangeant? Est-ce une prise accidentelle québécoise, donc aussi fraîche que légitime? Ou est-ce une morue prise dans le nord de l'Europe? Et les stocks, là-bas, comment se portent-ils?

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Notre vigilance de consommateur est essentielle. Peu importe qui dit vrai entre les scientifiques qui s'affrontent et dont parle mon collègue Mathieu Perreault dans les pages précédentes, notre responsabilité demeure.

Qu'on soit au bord d'un gouffre sans fond à cause de la surpêche ou en train de s'en sortir grâce à une gestion durable des stocks, on se doit de choisir ses poissons intelligemment, en réfléchissant non seulement à leur prix immédiat, mais aussi à leur coût à long terme. Si acheter des produits au rabais aujourd'hui met en danger les stocks de demain ou la santé des écosystèmes, l'argent qu'on économise ce jour même sera tout simplement facturé plus tard, à nous ou à nos enfants. Avec beaucoup d'intérêts.

Devant le poisson et les fruits de mer, notre vocabulaire doit s'enrichir. Et notre assiette se diversifier. Comme on l'a constaté récemment dans un reportage paru dans le New York Times sur l'importance accordée au homard dans le Maine, et comme on le voit aussi en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, l'esprit «monopêche» n'a pas quitté la dynamique commerciale de la côte Est en même temps qu'était imposé le moratoire sur la morue.

On a tout simplement remplacé le cabillaud par deux crustacés, le crabe des neiges et le homard. Voilà essentiellement ce qui s'est passé depuis 10 ans. On essaie de mieux gérer les stocks, de surveiller de près. Mais on a mis beaucoup d'oeufs dans les mêmes «casiers» à crustacés. Bonjour la vulnérabilité.

Que se passerait-il en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine si, demain matin, un problème inconnu de tous, imprévisible, touchait les homards?

Cela dit, on peut tous y faire quelque chose.

La surpêche et le manque de diversité des pêches marchent main dans la main avec un manque de variété directement dans nos assiettes. Il faut voir au-delà du saumon, du homard et de la morue. Il faut découvrir les couteaux, le maquereau, le tourteau...

Il y a encore moyen de manger des produits marins sauvages propres. À nous de demander aux pêcheurs d'aller les chercher. D'y goûter. Et de payer le prix juste pour que les «survolumes» ne soient pas la seule façon d'ouvrir de nouvelles avenues.