Les gouvernements ont le don, parfois, de parler des choses les plus cruciales de la façon la moins sexy du monde.

Depuis hier, par exemple, on discute en commission parlementaire à Québec de la politique-cadre qui déterminera pour les prochaines années comment nos villes seront façonnées. Seront-elles vertes, pleines de pistes cyclables et de quartiers trippants où on peut marcher partout? Seront-elles facilement accessibles en voiture avec plein de belles voies rapides larges (et sans nids-de-poule)? Seront-elles pieds et poings liés par des politiques provinciales? Seront-elles développées pour et par les transports en commun?

Bref, on discute à Québec de questions qui auront un impact majeur sur nos quotidiens. Et savez-vous comment on appelle le tout?

On appelle ça une «Consultation générale et des auditions publiques sur l'avant-projet de loi de la Loi sur l'aménagement durable du territoire et l'urbanisme».

«Zzzzzzzz...» dites-vous?

Pourtant, ce sujet n'a rien d'endormant. En fait, c'est un des sujets les plus intéressants qui soient. On est en train, à Québec, de repenser la loi qui va encadrer la croissance de nos milieux de vie. Cette commission est là pour entendre nos idées sur l'évolution de l'aménagement de nos collectivités.

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Le document déposé l'automne dernier cherche à proposer, comme son nom l'indique, une vision réellement durable de l'avenir. L'avant-projet parle d'efficacité énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de protection du patrimoine bâti et naturel, de biodiversité. Il est aussi question de développement et de ce qui doit être planifié par les municipalités et de comment ces plans peuvent être changés ou approuvés. L'avant-projet est long. Souvent opaque pour le simple citoyen.

L'Union des municipalités y a réagi et perçoit le tout comme une menace pour l'autonomie des villes. L'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec, de son côté, n'est pas du tout d'accord avec l'idée mise de l'avant par l'avant-projet de loi, de faire participer financièrement les promoteurs résidentiels à la mise en place des infrastructures et services verts - pistes cyclables, transports en commun, par exemple - nécessaires pour les nouveaux résidants de leurs projets.

Du côté plus «écolo», un regroupement formé d'Équiterre, de Vivre en ville, de la Fondation Suzuki et du Regroupement national des conseils régionaux en environnement a plutôt bien accueilli l'avant-projet, même si le caractère «durable» des objectifs doit, selon eux, être encore plus clairement défini. «Nous voulons une obligation de résultat», explique Alexandre Turgeon, de Vivre en ville.

Un autre organisme qui s'est manifesté, le Groupe de réflexion et d'action sur le paysage et le patrimoine (GRAPP), s'inquiète quant à lui d'un affaiblissement du recours possible aux référendums par les citoyens, pour bloquer des projets jugés inacceptables.

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Nous avons tous de bonnes raisons d'avoir peur de toute disposition de la loi qui facilite l'imposition de projets monstrueux contre la volonté des citoyens.

Mais ne faut-il pas aussi pouvoir faire face au syndrome du «pas dans ma cour» ? Il y a, un peu partout, des projets valables qui sont bloqués non pas parce qu'ils sont antiécologiques, polluants ou socialement inacceptables, mais parce qu'ils font face à une opposition parfois à courte vue, mais surtout très individualiste pour ne pas dire carrément égoïste. N'est-ce pas un problème auquel il faut trouver une solution si on veut avancer?

Aussi, si on veut lutter contre l'étalement urbain, n'est-il pas nécessaire que les promoteurs et les acheteurs de nouvelles résidences en banlieue assument le coût de leur choix? S'il faut construire une nouvelle bretelle d'autoroute pour pouvoir aller jusqu'à un nouveau quartier, n'est-ce pas un peu normal que cela ne soit pas payé par l'ensemble de la communauté?

Pour les transports en commun, la question est plus délicate. D'un côté, pour les mêmes raisons que celles énoncées plus haut, il est normal que ceux qui participent à l'établissement de nouvelles zones d'habitation éloignées paient le prix du fardeau supplémentaire pour les réseaux de bus ou de trains. En revanche, la participation financière des gouvernements peut jouer un rôle presque de leadership, notamment pour les projets dans des zones déjà urbaines mal desservies par les réseaux existants.

À Malmö, en Suède, où j'ai fait l'hiver dernier un reportage sur des nouveaux quartiers cités en exemple dans le monde entier, ce sont les autorités qui ont d'abord installé elles-mêmes les infrastructures, à leurs frais, dans une ancienne zone industrielle et portuaire qu'elles s'étaient chargées d'acheter et de décontaminer, avant de les offrir ensuite aux promoteurs, avec toutes sortes de conditions bien vertes.

Et c'est un succès.

Espérons que, parmi les groupes qui interviendront devant la Commission, on parlera aux députés de ce modèle suédois.

Espérons aussi que beaucoup de citoyens et d'organismes les représentant iront dire à quel point le gouvernement est sur la bonne voie avec cet avant-projet qui se dit durable et pour une fois semble l'être vraiment. Ce n'est pas le temps de revenir en arrière et de fléchir face à ceux qui s'enrichissent avec des modèles d'aménagement banlieusard ou «rural disgracieux» dignes des années 80.