Un «aliment santé» ça n'existe pas vraiment. Pas plus qu'un aliment «sain».

Les termes sont utilisés partout, tout le temps, notamment dans la politique du gouvernement du Québec pour changer l'alimentation dans les écoles, qui a eu deux ans cette année. Mais en réalité, ces expressions ne veulent pas dire grand-chose. Car selon les circonstances, tout aliment peut être sain ou malsain. Parlez-en à n'importe quel médecin et il vous le confirmera.

Il y a des aliments qui ne sont jamais «santé»: ceux qui rendent malades, comme les champignons vénéneux, par exemple. Ou alors ceux qui peuvent nous transmettre l'E.Coli, la salmonelle ou la maladie de la vache folle. Pour le reste, rien n'est particulièrement «santé» parce que rien n'est catégoriquement «pas santé». Tout dépend de l'alimentation générale de chaque individu, de ses comportements alimentaires, de sa santé.

Pour un bébé qui mange peu, du yaourt extra-gras sera un aliment suprêmement santé. Pour une personne souffrant de problèmes de cholestérol, ce sera différent. Un verre de limonade fraîche préparée avec du citron pressé? Super plein de vitamines pour un enfant en croissance. Pour un adulte souffrant de reflux gastrique: pas génial. Une frite? Ce n'est pas «pas santé», une frite. Si on a faim et qu'on mange une frite, il n'y a rien de mal à manger une frite. En manger trois fois par jour? Peut-être moins génial pour certaines personnes. Gras trans? Mauvais pour la santé. Mais une fois aux six mois? On n'en meurt pas.

Ce qui n'est «pas santé», donc, ce n'est pas la frite ou la pomme ou le jus de citron. C'est l'excès de l'un ou de l'autre, c'est l'absence de diversité alimentaire - concept crucial à respecter par tout omnivore -, c'est le fait que, pour une personne en particulier, ce ne soit pas approprié. C'est manger des aliments qui ne répondent pas à nos besoins. Savez-vous que dans certaines circonstances extrêmes, on peut mourir de boire trop... d'eau?

Pourquoi je vous fais tout ce long préambule? Parce que le gouvernement du Québec croit qu'en interdisant le chocolat au lait et toutes sortes d'autres aliments dans les écoles depuis deux ans, il aide les jeunes Québécois à apprendre à mieux s'alimenter. «Tu te goinfres de frites et de poutines? Mange des carottes à la place», dit-il aux élèves, oubliant, en chemin, de se demander: «Au fait, pourquoi ce jeune se goinfre-t-il de quoi que ce soit...»

Le comble de l'absurdité: l'interdiction de vendre du chocolat au lait pour financer les activités scolaires. Chocolat noir oui, au lait non, parce que, dit-on, celui-ci contient plus de sucre. Ce que le gouvernement fait, avec de telles prises de position, ce n'est pas un virage santé. C'est un virage régime. Deux choses totalement différentes.

Tout le discours sur l'alimentation qui nous est servi, autant par bien des nutritionnistes que par bien des messages de santé publique, sans oublier l'industrie des régimes, patauge dans cette zone totalement floue qu'ils ont baptisée «alimentation santé» ou «saine». On pourrait croire qu'ils prônent une alimentation uniquement faite d'aliments naturels, façon Slow Food ou Équiterre. On pourrait croire qu'ils prônent ainsi une alimentation très variée, toujours renouvelée, très axée sur la cuisine maison, où chaque repas est pris en famille. On pourrait croire qu'ils visent une alimentation totalement «granola», parce qu'il y a ce discours-là, aussi, qui se réclame de la «santé», celui des macrobiotiques, des crudivores et autres végétaliens. Mais non, quand on regarde de près ce que prône le ministère de l'Éducation, on remarque surtout une préoccupation qui dépasse de loin celle pour la fraîcheur, le local et le fait maison: la lutte contre les calories. On veut des viandes moins grasses. Du poché et du vapeur plutôt que du frit. Des desserts à base de fruits plutôt que de crème ou de sucre. On dirait un manuel de chez Weight Watchers...

Si dire aux gens d'échanger leur poutine pour des bâtons de céleri était efficace pour les rendre sveltes et faire chuter les statistiques sur le diabète et l'hypertension, but officiel de ces mesures «santé», je ne dis pas. Sauf que ce n'est pas le cas. On tape sur ce clou depuis des décennies et la situation ne s'améliore pas, elle empire.

Notre compréhension de la question du poids est limitée. Régulièrement, des recherches viennent remettre en question des certitudes ou refusent de confirmer ce qu'on croit évident.

Il y a deux semaines, par exemple, une étude parue dans la revue Diabetes et menée par des chercheurs de Nouvelle-Zélande, de Grande-Bretagne et de Singapour a montré que les femmes enceintes suivant des régimes limitant les hydrates de carbone, y compris les super minces, mettaient leurs enfants nettement plus à risque de devenir obèses.

Pourquoi? Une des hypothèses est que l'embryon s'adapte génétiquement au manque de calories et grandit en se disant qu'il est toujours à risque, un jour, de manquer de carburant... Ceux qui ont suivi mille régimes ne seront pas étonnés: le corps s'adapte aux calories limitées et engrange.

Mais vous, si je vous avais demandé qui, entre une femme svelte qui fait bien attention à son poids et une autre qui mange librement, met le plus son enfant à risque de développer un surpoids, que m'auriez-vous répondu?

Si le ministère de l'Éducation tient à transformer l'alimentation scolaire, tant mieux. Vraiment. Mais qu'on arrête de parler de «santé». Parlons plutôt de saveurs, de culture, de diversité, d'environnement. Finançons une véritable réforme de la cuisine dans les écoles. Et arrêtons de mettre tout le monde au régime, sans le dire clairement.

Pour joindre notre chroniqueuse: mlortie@lapresse.ca