D'habitude, depuis qu'on s'intéresse à la maintenant célèbre liste des 50 meilleures tables au monde de San Pellegrino et du magazine Restaurant, l'absence de toute adresse montréalaise ou québécoise au palmarès provoque un haussement d'épaules. Un gros «bof» désintéressé.

Mais hier, quand le décompte a été publié et qu'on a appris que le Danois Noma était toujours numéro un, suivi par l'Espagnol Celler de Can Roca puis par toutes sortes de tables britanniques, belges ou néerlandaises, l'absence de toute adresse canadienne au palmarès a eu l'effet d'une gifle.

Que la France, l'Espagne et l'Italie aient plusieurs gagnants, on le comprend, grandes traditions gastronomiques obligent. Mais un restaurant péruvien sur la liste des 50 meilleurs? Deux restaurants mexicains? Deux suisses, un russe, un sud-africain... Et ici, à Montréal, aucun? Comment ont-ils fait? Pourquoi eux et pas nous?

L'an dernier, le Canada avait réussi à placer deux adresses parmi les 100 premiers: Rouge à Calgary et Langdon Hall, l'Ontarien.

Cette année? Nada.

«C'est triste», me confiait hier soir Andrew Torriani, PDG du Ritz Carlton, qui vient d'aller chercher le grand chef new-yorkais Daniel Boulud pour piloter le nouveau restaurant de son hôtel totalement rénové. «On a de bonnes tables à Montréal, on mérite d'être là.»

Selon lui Toqué! devrait être sur la liste. Peut-être le Club chasse et pêche. Et il espère que son Maison Boulud réussira à se tailler une place.

Personnellement, j'ajouterais parmi les candidats le Pied de cochon, dont j'entends parler partout quand je voyage. De New York à Los Angeles en passant par Portland, pléthore de jeunes chefs vouent un véritable culte à Martin Picard, pionnier d'un style de cuisine rustique qui a fait des petits partout.

Pourquoi, si on met sur la liste l'excellent Momofuku Ssam Bar new-yorkais, formidable mais très informel, on n'a pas choisi le Pied?

Comment faire pour sortir nos meilleurs de l'ombre?

«On est probablement trop modestes, répond M. Torriani. On gagnerait à être plus flamboyants.»

Cette année, pour la première fois, j'ai été recrutée pour faire partie du panel de 800 spécialistes du monde de la gastronomie - chefs, journalistes, restaurateurs - et j'ai voté pour des restaurants québécois. Par choix. Mais aussi parce que le système de vote oblige les panélistes à voter pour un certain nombre d'établissements de leur région. Le système tient donc compte de cette nécessité de pousser la représentativité régionale de la célèbre liste.

Mais, pour gagner, il faut plus qu'être appuyé par les gens du coin. Il faut l'appui des gastronomes voyageurs.

Sachant la publicité incroyable que procure une place sur la liste, non seulement pour le restaurant, mais aussi pour toute la ville et pour les autres établissements qui profitent de la manne, n'est-ce pas le temps de mettre en place des stratégies pour tirer parti de ce nouvel outil, peu importe ses défauts?

Tourisme Montréal appuie déjà bien les restaurateurs, souligne Normand Laprise du Toqué! , un autre grand déçu. Mais peut-être est-ce le temps d'aller encore plus loin. D'autres pays le font...

Pendant des années, les étoiles Michelin ont fait la pluie et le beau temps dans le milieu de la restauration. Mais, qu'on le veuille ou non, actuellement, la liste San Pellegrino est en train de devenir une référence incontournable.

On peut la critiquer, dire que ce n'est pas une liste rigoureuse, plus un concours de popularité qu'une évaluation fiable. On peut la traiter de guide Zagat modifié où ce sont des gens qui s'y connaissent en gastronomie, mais pas de réels juges, qui évaluent les établissements. On peut dire que tout ça est beaucoup plus influencé par le buzz que réussissent à générer les restaurants que par leurs qualités fondamentales.

On peut dire tout ça.

Reste que l'impact de la liste est maintenant immense et que les acteurs concernés à Montréal ne peuvent plus se permettre, ni pour le tourisme ni pour la santé financière des meilleures tables ni pour l'effet moteur sur toute l'industrie de la restauration, de ne pas y être.