Je ne me rappelle pas à quel âge j'ai commencé à cuisiner, mais lorsque je me suis brûlée avec de l'eau bouillante à 7 ans, je préparais déjà du Jell-O depuis un moment et j'avais largement maîtrisé l'art du gâteau cuit au four-jouet Easy-Bake.

J'admire mes parents, qui m'ont laissée faire de telles expériences. Gâteaux, puddings, salades aux vinaigrettes baroques... J'aimerais avoir la même indulgence avec mes petits. Laisser un enfant cuisiner demande deux fois plus de tolérance, de minutie et de ressort que cuisiner soi-même. Il faut être prêt à embarquer dans le projet avec la même disponibilité que si c'était le nôtre, sans pouvoir le contrôler. Il faut regarder sans mot dire l'enfant cheminer avec ses cuillères et ses maryses, à tâtons dans la farine et le beurre. Il faut l'aider quand il le demande, ramasser les dégâts et ramasser tout court, pour ensuite manger avec enthousiasme un bout de steak gris avec des haricots trop cuits et un gâteau caoutchouteux mille fois trop sucré.

Est-ce une raison pour ne pas laisser les enfants entrer dans la cuisine? Surtout pas.

Mais on peut comprendre un peu pourquoi, comme le montre la recherche de l'opération Tout le monde à table, les enfants ne se retrouvent pas souvent dans la cuisine de leurs parents. En effet, selon cette étude, seulement 18% des enfants aident à la préparation des repas au quotidien, alors que 80% aimeraient cuisiner davantage. D'autant plus que leur tâche se résume généralement à la vaisselle: 70% disent que c'est là l'essentiel de leur contribution à la logistique du repas, avec mettre ou débarrasser la table.

Pas idéal comme constat. Il faut mieux aiguiller nos jeunes et les aider à devenir des cuisiniers autonomes capables de s'alimenter de façon variée, sans avoir recours au prêt-à-manger.

Les recherches et l'anecdote le montrent: plus les enfants participent à la préparation des repas, plus on a de chances qu'ils goûtent, voire qu'ils apprécient des aliments hors de leur champ alimentaire habituel, clé d'une alimentation saine parce que d'abord et avant tout diversifiée.

Laisser les petits entrer dans la cuisine est plus difficile qu'on ne croit. Dans nos vies déjà pressées où on peine à se cuisiner des repas à peu près savoureux et conformes aux normes des ayatollahs du nutritionnisme, qui a besoin d'un enfant de 9 ans dans les pattes, qui non seulement ne sera pas efficace dans l'épluchage du rutabaga et de la patate douce, mais qui risque en plus de se faire mal avec le couteau et de tout renverser par terre chemin faisant?

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Laisser les enfants entrer dans la cuisine, c'est un peu comme les laisser revenir tout seuls à pied de l'école en traversant plusieurs rues passantes. On sait que c'est mieux pour la santé de tout le monde, mais on comprend pourquoi on a arrêté de le faire avec les années: il y a des risques et ça ne convient pas nécessairement à nos vies hyperstructurées. C'est plus simple d'éviter...

Je ne me rappelle pas à quel âge j'ai commencé à cuisiner, mais je me rappelle avoir eu beaucoup de plaisir à le faire. Je me souviens de plats ratés, mais de réussites aussi. Je me souviens de ma mère qui disait que, si on voulait des biscuits, il fallait les préparer nous-mêmes, et de l'imagination qu'il fallait déployer pour trouver des recettes adaptées au fond du garde-manger. Je me souviens de mon père qui, comme nous, regardait le frigo qu'on trouvait toujours vide et nous aidait à en extraire, comme par magie, une sauce pour les pâtes ou une improbable salade composée. C'était avant les supermarchés ouverts à toute heure du jour.

Je ne me rappelle pas les réprimandes au sujet d'un plan de travail sale ou d'une sauce trop salée. Je ne me rappelle même pas de compliments forcés, la mâchoire bloquée par des pâtes collantes comme du mastic. Ma mémoire n'a gardé que le meilleur: la joie de faire plaisir à tous avec une mousse aux fraises bien montée, le parfum et la force réconfortante d'une croûte de pain craquante et chaude. Et une envie à vie de continuer à cuisiner.