«Eh, tu ne vas quand même pas souper aux Doritos!»

Qui n'a pas déjà dit ça à un enfant qui n'a plus faim pour le repas après s'être empiffré de chips?

«Maintenant, mange ton vrai plat!»

Et devant le refus de l'enfant d'obtempérer: «Tu ne vas quand même pas souper aux Doritos!»

Avouez que ça vous est déjà arrivé.

À moi, en tout cas, oui.

Pourtant. Pourtant, il ne faudrait pas. Parce que le pire, c'est quoi? Un enfant qui se bourre de croustilles et à qui on demande, en plus, de manger un repas complet même s'il a l'appétit coupé? Ou le même enfant qui se bourre de croustilles mais qui, au lieu de manger ensuite un repas complet, ne mange rien d'autre parce qu'il n'a plus faim?

Je sais, je sais, un souper aux chips n'a rien de glorieux ni de formidablement vitaminé.

Mais est-ce une raison pour demander à un enfant de passer par-dessus son sentiment de satiété pour manger plus qu'il n'en ressent le besoin?

Le changement de mentalité que demande la surabondance de nourriture dans laquelle nous vivons est hallucinant.

Hier encore, nos grands-parents savaient tous ce qu'était la rareté, et nous voilà dans un univers où on vend de quoi manger partout, où se nourrir n'est plus un besoin mais plutôt une activité si accessible qu'elle demande à être balisée.

Et ce virage en épingle, fondamental, c'est nous, les gens de notre époque, qui devons l'accomplir.

Il n'est pas étonnant que la moitié des éducatrices en garderie complimentent les enfants qui mangent toute leur assiettée, comme nous apprend l'article de ma collègue Marie Allard. C'est tout à fait compréhensible; c'est ainsi que nous avons été élevés. Ces gens veulent bien faire. Quand la nourriture n'était pas surabondante et qu'on ne cherchait pas des façons de manger moins mais plutôt de manger assez, on poussait ainsi les enfants à profiter de chaque bouchée.

Sauf que le monde a changé.

Ce qu'il faut montrer à nos enfants, ce n'est pas de sauter sur chaque occasion sucrée ou protéinée. Ce qu'il faut leur montrer, c'est plutôt de gérer la possibilité constante d'excès.

Et la première chose à faire, pour ça, c'est d'apprendre, nous, à les respecter quand ils nous disent qu'ils n'ont plus faim et que non, ils ne veulent pas terminer leur assiette, même si elle est pleine de bonne viande et de bons légumes.

Les enfants naissent avec la capacité de savoir exactement combien de nourriture il leur faut pour combler leurs besoins caloriques. Le nourrisson de quelques jours qui s'abandonne au sommeil en laissant couler sur sa joue la dernière goutte de lait qu'il vient de téter à sa mère en est le plus clair exemple.

«Mon enfant est super capricieux et se nourrira juste entre les repas!» «Si je ne le pousse pas, il ne mangera jamais ses légumes!» Je vous entends. Et je n'ai jamais dit que ce serait simple à gérer. Ni que j'avais le mode d'emploi. Mais cette réalité est incontournable: si on ne veut pas qu'ils grandissent sans savoir manger juste assez, il faut commencer à les écouter maintenant.