«Je vous invite à prendre le thé.»

Je ne connais pas vraiment l'homme à l'autre bout du fil, donc je n'ai aucune idée de son sérieux.

«Oui, le thé, si vous voulez me parler du manoir Redpath, allons y prendre le thé...»

O.K. C'est de l'ironie. Michael Sochaczevski, propriétaire de la fameuse maison en ruine du Golden Square Mile, n'a pas du tout envie de prendre le thé. Il en a juste vraiment marre qu'on appelle mansion le 3457, rue du Musée, terme qui évoque des idées somptueuses de demeures britanniques où l'on se perd entre les crumpets et le darjeeling.

«Il n'y a pas de mansion. Rien à sauvegarder», dit-il. Que des vestiges irréparables et un terrain où il aimerait construire une tour d'habitation.

Je ne connais pas vraiment l'homme. Mais quelque chose me dit que rien ne le fera changer d'idée au sujet de la préservation des briques et des corniches de cette construction Queen Anne. Ni lui ni son père, Amos, avec qui il fait équipe.

Voilà 25 ans qu'ils laissent se détériorer cette maison bâtie en 1886. La conservation de l'architecture ancienne n'est de toute évidence pas leur tasse de thé. Ni l'architecture contemporaine, d'ailleurs.

Allez sur le site du Suburban, dont ils sont propriétaires, vous y verrez des images de l'immeuble qu'ils voulaient construire sur le terrain après avoir démoli la maison. Oui, cette tour qui dérogeait aux règlements municipaux, à laquelle les autorités ont finalement dit non. Dites-moi si cela ressemble aux constructions primées par les concours d'architecture internationaux.

Pour les constructeurs, il s'agit peut-être d'un immeuble d'habitation luxueux. Dans mon livre à moi, il s'agit surtout, essentiellement, d'une chose habitable de style faux vieux tape-à-l'oeil. Cherchez une réelle réflexion, autant côté urbanisme qu'architecture, et bonne chance.

Non seulement la Ville a décidé à minuit moins une de ne pas autoriser une tour trop haute. Elle a aussi bloqué un projet sans intérêt pour la collectivité.

Démolir un vestige, c'est une chose qui peut être parfois nécessaire. Mais le remplacer par du clinquant vide de sens pour la cité?

Non merci.

* * *

Montréal ne doit pas rejeter systématiquement tous les projets de démolition. La Ville doit respirer. Évoluer. Et il est peut-être effectivement trop tard pour sauver la maison Redpath.

Mais la Ville ne doit pas dire oui à tout investisseur prêt à ouvrir son portefeuille pour construire quelque chose susceptible de rapporter des impôts fonciers.

Les temps ont changé.

La Ville doit réfléchir. La population s'attend à ce qu'elle réfléchisse sur ce qu'on démolit et ce qu'on construit de mieux, de porteur, à la place.

Si vous avez l'impression, comme moi, que, ces temps-ci, tous les projets montréalais se font dire non tout le temps, c'est peut-être parce que les changements n'inspirent pas confiance, que les projets ne sont pas aussi bons qu'ils le devraient.

L'échangeur Turcot n'est pas inspirant. Le projet Redpath non plus. Ni Griffintown. Ce n'est pas être immobiliste que de dire cela. C'est dire qu'on peut faire mieux. Que toutes sortes de villes en Europe et en Amérique du Nord font mieux. Pourquoi pas nous?

* * *

Je reviens de Portland, ville particulièrement progressiste au point de vue de l'aménagement. En novembre, j'étais à Copenhague (Danemark) et à Malmö (Suède), où, là aussi, architecture, urbanisme moderne et réaliste, écologie et investissements durables se conjuguent pour tracer la voie à des projets qui ont un impact direct sur la qualité de vie des citoyens qui les habitent et des autres.

Partout, j'ai demandé: «Pourquoi réussissez-vous?» Chaque fois, j'ai eu les mêmes réponses: à cause de la volonté commune des élus et de l'entreprise privée de viser les mêmes idéaux verts et ouverts.

À Montréal, on a trop souvent l'impression de n'avoir ni l'un ni l'autre.

* * *

Les Sochaczevski sont outrés qu'on bloque leur projet. On peut les comprendre. Pendant deux ans, les autorités municipales leur ont dit que leur tour était acceptable même avec ses étages de trop. On leur a même donné le feu vert avant de le retirer.

Que faire maintenant, dans ces circonstances?

Après avoir attendu 25 ans, les propriétaires sont peut-être prêts à patienter encore. Devant un autre cul-de-sac, ils seront peut-être mûrs pour abandonner cette perte de temps et d'argent.

Pourquoi la Ville ne signifie-t-elle pas clairement son désaccord total avec la façon dont ils ont traité ce bâtiment historique - quitte à utiliser les outils réglementaires et juridiques nécessaires pour décourager quiconque de refaire la même chose - pour ensuite négocier le rachat du terrain?

Et ensuite, pourquoi ne pas lancer un vaste concours pour la construction, par le secteur privé, d'un immeuble résidentiel phare à la fine pointe de l'architecture urbaine verte, un Habitat 2015 au coeur de Ville-Marie?

Une telle initiative, solidement encadrée, pourrait donner l'exemple à tous les promoteurs. Eh oui, un tel immeuble rapporterait des impôts.

Partout dans la société, des gens réfléchissent à l'avenir de la métropole et veulent y contribuer. La Ville de Montréal doit écouter leurs rêves et leurs craintes, comme elle a entendu, cette fois, les doléances dans Ville-Marie.

Rejeter un mauvais projet, c'est peut-être fermer une porte. Mais c'est aussi se donner la chance d'en ouvrir une autre, pour le mieux.