Ce que l'on retient de l'assassinat de John F. Kennedy, en 1963, c'est que le geste a été commis pour remettre en question la transformation de l'Amérique traditionnelle par un jeune président moderne et catholique, en rupture avec le passé.

Et c'est cette volonté de bloquer à tout prix l'avancement, la peur maladive du changement et de la fin de la discrimination, que l'on retient aussi aujourd'hui de l'assassinat de Robert Kennedy et, plus encore, de Martin Luther King.

Mais que retiendra-t-on de la tentative d'assassinat, de ce brutalissime assaut armé, contre la représentante démocrate Gabrielle Giffords?

Pourquoi l'a-t-on visée, elle? Le tireur aurait pu s'en prendre au président Barack Obama. À un autre élu. À John McCain, qui est sénateur de l'Arizona, où a eu lieu le crime.

Non, il a choisi Mme Giffords.

Qui est-elle et que représente-t-elle de si dérangeant?

Mme Giffords est une démocrate. Mais une démocrate centriste. Elle a voté avec son président pour la réforme de la santé et pour certaines mesures très controversées en matière d'environnement (le fameux cap and trade). Mais, contrairement à la gauche démocrate progressiste, elle est aussi une adversaire du contrôle des armes - peut-être a-t-elle changé d'idée, remarquez - et, surtout, même si elle est en désaccord avec cette politique extrêmement controversée contre l'immigration mise en place par l'État de l'Arizona en 2010, Giffords a toujours été favorable à des mesures sévères pour bloquer la traversée clandestine de la frontière.

Dans les milieux politiques féminins et féministes américains, Mme Giffords est considérée comme l'une des rares démocrates susceptibles de répondre à la popularité de Sarah Palin.

Car dans le parti de Barack Obama, la question se pose plus que jamais.

Autant l'ex-gouverneure de l'Alaska a été servie par les républicains de John McCain en 2008 comme une réplique à la popularité d'Hillary Clinton et une tentative d'aller chercher les appuis de ceux et celles qui avaient été déçus par sa défaite aux mains de Barack Obama lors de l'investiture présidentielle démocrate, autant, maintenant, les démocrates se demandent comment récupérer la sauce. Partout on cherche des femmes qui soient capables de montrer que leur parti, malgré le sort réservé à Mme Clinton en 2008, sert aussi bien les intérêts des citoyennes et autres «mamans grizzlis» que la toujours populaire Mme Palin et toutes ses acolytes qui ont bien réussi aux élections de 2010. Car la superconservatrice n'est pas la seule à s'être imposée depuis la présidentielle. Il y a aussi des républicaines comme Michelle Bachmann, du Minnesota, réélue représentante à l'automne malgré ses positions extrêmement conservatrices et figure de proue du nouveau mouvement de droite conservatrice Tea Party, ou Nikki Haley, élue en novembre première femme gouverneure de la Caroline-du-Sud.

Les démocrates, donc, doivent répondre à ce mouvement. Et Gabrielle Giffords est en tête de liste.

On la dit charismatique, brillante, terre à terre. Mariée depuis 2007 à un astronaute, elle est issue du milieu de la petite entreprise - elle a dirigé l'entreprise familiale de vente de pneus. Mais surtout, malgré ses positions pro-choix et pro-réforme de la santé, elle réussit à maintenir un équilibre idéologique en penchant parfois vers la droite - elle est d'ailleurs membre des Blue Dogs, l'aile droite du Parti démocrate - qui stabilise sa popularité politique dans des zones du pays réputées républicaines.

La solution de rechange qu'elle propose aux «mamans grizzlis» de Palin est modérée. Accessible. Ce n'est pas la gauche qui répond à la droite comme dans un match de tennis, façon Ann Coulter contre Michael Moore ou Fox News contre Keith Olbermann. C'est le centre qui propose de jouer à autre chose.

Le tueur a-t-il choisi par hasard de tirer sur elle et pas sur un autre? Permettez-moi d'en douter.