Vous rappelez-vous du Jello trois couleurs et des dîners Swanson? Des saucisses La belle fermière et des Smarties jamais bleus? Peut-être que oui, peut-être que non, parce que ces réalités datent d'une autre époque. D'année en année, la cuisine change. Nos approches et nos techniques se peaufinent ou reviennent aux classiques. Nos goûts voyagent. Regard côté assiette et restaurant sur ce que propose 2011, que l'on vous souhaite joyeuse, repue et savoureuse.

1. Après beaucoup de place accordée à la rusticité pendant les années 2000, la créativité s'impose à nouveau. Car même si on aime bien le spagat' aux boulettes et le pâté à la viande, on peut en faire le tour. De la poutine réinventée? Plus capable. Des côtes levées? Oui, mais encore. Est-ce dire que la cuisine très fine, très sophistiquée faite avec des produits très luxueux fait un grand retour? Pas du tout. L'heure est à une troisième voie, soit une cuisine très créative, délicate, mais préparée avec des ingrédients simples, accessibles. Premier plat qui nous vient en tête pour décrire cette tendance: les pappardelle de navet - oui, les pâtes sont en fait des lanières de légumes - de Marc-André Jetté aux 400 Coups, à Montréal. Mais on pourrait aussi parler d'une magnifique assiette brocoli et mousse au persil chez Relae à Copenhague ou de pratiquement toutes les tapas de Dos Palillos à Barcelone.

2. La racine poursuit son règne. On l'a vue beaucoup en 2010, mais elle sera là encore en 2011, c'est sûr. En effet, après en avoir vanté les vertus écologiques - ce sont les légumes locaux d'hiver de nos pays froids, ainsi ils arrivent sans transport indu et sans serres énergivores -, on en découvre maintenant les vraies vertus gastronomiques. La racine est donc partout. Le radis, les carottes de toutes les couleurs et la betterave, évidemment, mais aussi le topinambour, le crosne, le céleri-rave, l'oignon mangé seul et pour lui-même et non pas seulement pour relever le plat. On braise, on grille, on confit. On sert en salade ce qui est souvent travaillé cuit. Bref, on s'amuse.

3. Le chevreau. Même si les producteurs sont peu nombreux au Québec, cette viande tendre comme le cochon de lait ou l'agneau de lait, blanche et douce, se taille doucement une place dans nos assiettes. À l'opposé des chairs de gibier très rouges - cerf, bison, caribou - découvertes ces dernières années.

4. Moins de viande côté quantité, mais de meilleure qualité. On entend tellement d'histoires d'horreur sur les conditions d'élevage des volailles, porcs et bovidés, qu'on a moins envie que jamais d'acheter du surgelé de grande surface. Par contre, les petits élevages bio ou naturels nous rassurent. Évidemment, ça coûte plus cher. Donc on en mange moins, ce qui est aussi plein de bon sens, écologiquement parlant, puisque la production de viande nécessite beaucoup d'énergie.

5. Retour du hamburger saignant. Vu à Los Angeles chez Umami ou à Copenhague chez Gourmandiet: le steak haché qui n'est pas dur et tout gris de bord en bord. Étonnant? Oui dans un monde où on entend constamment parler des dangers de la bactérie E. coli de la viande saignante, mais pas si on pense à tous les tartares qui se mangent tous les jours. Donc: adieu boulettes bon marché potentiellement contaminées et bonjour viande de qualité, taillée au couteau ou hachée minute, que l'on peut savourer généreusement rosée.

6. Les légumes en plats principaux. Prix de la viande oblige - voir point 4 -, on change le menu. Attention, on ne virera pas tous végétariens en 2011, mais si on se fie aux grands chefs, notamment le Danois René Redzepi du Noma ou l'Espagnol Ferran Adrià de elBulli, on peut très bien aimer les légumes et en faire tout un plat. Céleri-rave braisé aux truffes, endives en papillote avec noix crues et caviar d'huile d'olive...

7. Les restaurants sans affiche et sans réservation. Voilà quand même quelques années que le monde de la restauration s'éloigne de la formule «nappe blanche» avec service au guéridon. Mais la tendance vers le non formel se poursuit, cette fois peut-être en réaction à la surexposition des chefs des grosses franchises vedettes et au cinéma des réservations à faire des mois à l'avance ou réservées aux initiés. Donc, adieu les affiches. Adieu les réservations. Promenez-vous dans les rues du Mile-End ou de Brooklyn et vous aurez presque de la difficulté à identifier les restaurants tellement leurs marquises sont discrètes, parfois carrément inexistantes. Et c'est : premier arrivé, premier servi. Même pour les stars.

8. Le café filtre retrouve ses lettres de noblesse. On en parlait en 2009, les initiés en ont bu en 2010, on en boira tous en 2011: le café filtre. Mais attention, il n'est pas question de ressortir du placard la cafetière bon marché qui fait du jus de chaussette. Pensez plutôt café à la française, donc fait au filtre avec peu d'eau, une bonne mouture et beaucoup de soin, pour que le café soit fort. Et pensez grains d'origines précises, venus de plantations durables, torréfiés depuis peu et donc très frais, moulus à la minute. On inclut dans «café filtre» le café fait à la Mélior. Bu à Los Angeles cet automne chez Intelligentsia et à Brooklyn chez Blue Bottle.

9. Le poisson durable. Tranquillement, les inquiétudes écologiques face aux poissons d'élevage et aux produits de la mer surpêchés font leur chemin. Informés des dangers que posent certaines piscicultures et du risque de disparition de certaines espèces menacées, les consommateurs posent plus de questions que jamais sur les bêtes qu'on met dans leur assiette. Tranquillement, on voit la consommation de thon rouge ou de bar du Chili devenir taboue. On s'interroge ouvertement sur l'origine d'un saumon ou d'une crevette géante. La côte Est a pris du retard sur la côte Ouest à cet égard, mais en 2011, on se réveille.

10. Le fait maison. Vous faites vos confitures, tous vos gâteaux d'anniversaire, les biscuits qui vont dans les boîtes à lunch de vos enfants et toutes vos vinaigrettes, sans exception? Vous êtes sur la bonne voie. Mais ce n'est qu'un début. Pourquoi ne pas produire votre propre miel - avec des ruches sur le toit de la maison -, torréfier votre café, moudre votre polenta? Fou, oui. Pour mordus seulement. Évidemment, dans le même esprit, le potager urbain est de mise, tout comme le poulailler. Le vin artisanal (mais fait par des professionnels) n'a jamais été aussi populaire. Et dans le même esprit, tout le monde peut essayer de se mettre au moléculaire. Tant pis si le restaurant elBulli ferme, de toute façon, la Mecque de la cuisine moléculaire était pratiquement inaccessible. Par contre, grâce à des kits abordables fournissant recettes, outils et produits, le moléculaire est à la portée de tous (avec un peu d'entraînement). À nous les bulles d'huile d'olive, les sphères de mozzarella liquides et les vinaigrettes en écumes.

11. La frontière entre le sucré et le salé s'efface. Panna cotta au sang de porc, brownies au bacon... Si le moléculaire permet au salé d'emprunter les techniques de pâtisserie, la pâtisserie, elle, se venge, en intégrant les ingrédients classiques du salé. Préparez-vous à voir encore plus de mousse au chocolat à l'huile d'olive, de caramel au piment, de mousse au fenouil (oui, oui, mangée chez Relae à Copenhague). Un petit saucisson au chocolat avec ça?