Si tout se passe comme prévu, lundi commencera un processus de médiation entre les avocats de la congrégation des frères de Sainte-Croix et ceux qui affirment avoir été victimes d'agressions sexuelles par certains de ces religieux alors qu'ils s'occupaient du collège Notre-Dame et du collège de Saint-Césaire.

Au premier regard, cette nouvelle étape n'a rien de très spectaculaire.

Une réunion, des juristes...

Les frères n'ont toujours pas fait de déclaration-choc, ni d'aveux fracassants.

On ne sait toujours pas s'il y aura une prise de responsabilité transparente. On aimerait tous encore savoir s'il y aura partage d'information avec la police. Et on attend toujours de voir ce que l'organisme religieux a à dire sur sa gestion des plaintes pour agressions sexuelles qui lui ont été acheminées dans le passé. Notamment ces lettres écrites par feu René Cornellier, qui aurait commencé à être agressé à l'âge de 12 ans et dont la famille mène aujourd'hui son combat pour la vérité.

Mais ce premier pas vers la médiation, en marge des procédures en recours collectif, n'est pas rien.

Le processus judiciaire peut être long. Un recours collectif ne chemine pas en criant ciseau.

Au moins avec la médiation en présence d'un juge, les choses peuvent avancer plus rapidement. Ce sont d'ailleurs les représentants des victimes qui ont demandé cette médiation. Le but des discussions? Évidemment, dans toute cette affaire il est question d'argent. Mais les représentants des victimes l'ont dit et répété: ce qu'ils attendent d'abord et avant tout, c'est une reconnaissance limpide, officielle et publique de responsabilité et des excuses tout aussi écrites, publiques et officielles pour ces agressions sexuelles qui seraient survenues durant les années 60 et jusque dans les années 90. Et qui ont brisé la vie de bien des gens.

«C'est une main tendue», m'a dit hier la porte-parole de la congrégation des frères de Sainte-Croix, au sujet de la volte-face en faveur de la médiation que les frères d'abord refusaient. On aimerait y voir un signe que la congrégation comprend à quel point elle doit aller au-delà des mièvres excuses offertes aux victimes non pas après que l'affaire eut été mise au jour par la journaliste Sue Montgomery de The Gazette à l'automne 2008, mais après le dépôt d'une demande de recours collectif au printemps 2009, et encore récemment après la diffusion d'un reportage de l'émission Enquête de Radio-Canada en octobre dernier.

À quel point aussi la congrégation doit accepter de partager ce qu'elle sait avec les autorités judiciaires pour que les dossiers puissent être suivis au criminel si nécessaire.

À quel point elle doit reconnaître ses responsabilités à elle aussi, comme organisation. On a beau dire et répéter que les crimes sont commis par des pommes pourries (et c'est ce qu'on entend sans cesse dans ces histoires d'agressions sexuelles commises par des religieux), encore faut-il que le gérant du panier de pommes fasse son travail et retire les mauvais éléments de la circulation.

Encore cette semaine, ma collègue Anabelle Nicoud nous apprenait qu'un religieux des frères de Sainte-Croix, François «Paul-Henri» Héroux, mort aujourd'hui, aurait sévi dans deux établissements. Pas un, deux.

La congrégation ignorait-elle absolument tout du cas en question ou a-t-elle déplacé le problème? Voilà le genre de question qui a besoin de réponse.

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On ne refait pas le passé. On ne l'efface pas non plus. Mais on peut mieux avancer quand on ne traîne pas le poids de la colère contre l'impunité. Contre l'injustice. C'est ce que demandent les victimes. De la transparence, de la prise de responsabilité, de la reconnaissance de fautes commises.

Aujourd'hui, la congrégation doit cela à ceux dont la vie a été marquée à jamais.

Mais elle a aussi une dette morale envers ce collège. La congrégation ne gère plus Notre-Dame ni le collège Saint-Césaire aujourd'hui fermé, mais elle pilotait les deux institutions à l'époque où auraient été commis ces maints crimes sexuels contre des pensionnaires. Et aujourd'hui, la congrégation est encore propriétaire des bâtiments du collège Notre-Dame et nomme les six laïcs et le religieux composant son conseil d'administration, même si le collège est dirigé au quotidien par des laïcs, que les frères n'y enseignent plus et qu'il n'y a plus de pensionnat.

Bref, même si les liens des frères avec l'institution qu'ils ont fondée ne sont plus du tout ce qu'ils étaient, la congrégation a encore des responsabilités envers cette école qui, aujourd'hui, doit vivre malgré elle avec les répercussions des révélations sur ce passé flou. Qu'on le veuille ou non, l'affaire affecte notre vision de l'institution qui, pourtant, profite d'une enviable réputation sur le plan scolaire et est admirée pour ses installations sportives et ses programmes de musique.

Bref, avais-je envie de demander aux frères hier - avant de me faire dire à la congrégation: «les religieux ne parlent pas directement à la presse» -, que veulent-ils que l'on retienne de leur passage sur le chemin Queen-Mary? Qu'ils y ont caché des agressions sexuelles affreuses, où des enfants à peine pubères perdaient leurs repères et leur innocence?

Ou qu'ils y ont construit un oratoire, que l'un d'eux y est devenu un saint et qu'ils y ont fait face à l'adversité mais y ont répondu d'une façon juste, responsable et pleine de compassion, digne de 2011?

Photo tirée de l'Album souvenir 1983-84 du collège Saint-Césaire

Un religieux des frères de Sainte-Croix, François «Paul-Henri» Héroux, mort aujourd'hui, aurait sévi dans deux établissements. La congrégation ignorait-elle absolument tout du cas en question ou a-t-elle déplacé le problème?