J'étais en train d'écouter une des nombreuses intervenantes à la présentation de presse, hier, parler de l'importance d'implanter des marchés de fruits et légumes dans les coins défavorisés de Montréal, ceux où le baloney a plus la cote que la salade de bette à carde, quand j'ai aperçu les plants de tomates.

Il devait y en avoir une dizaine, remplis de petits fruits, dont plusieurs encore verts, et flanqués d'immenses feuilles de citrouille, de verdures qui se donnaient des airs d'épinards, de tuteurs supportant des haricots, d'herbes aromatiques...

Au milieu des Habitations Jeanne-Mance, symbole mont-réalais de la pauvreté urbaine bétonnée, lieu choisi pour parler du nouveau marché du Faubourg Saint-Laurent, destiné à mieux approvisionner les citoyens de ces environs en fruits et légumes abordables, pousse un magnifique potager.

Utilisé comme jardin communautaire il y a plusieurs années jusqu'à ce qu'on réalise qu'il avait besoin d'être décontaminé, le terrain est aujourd'hui de nouveau cultivé. Ce sont des familles originaires du Bangladesh, qui habitent dans l'un des HLM, qui ont relancé le bal et décidé de mettre leurs connaissances agricoles à profit.

Résultat: de la verdure et encore de la verdure, comestible en plus, qui avait l'air de rigoler hier matin pendant la présentation du nouveau marché en disant: «Regardez, nous aussi, on vous propose une solution...»

Il y en a qui doivent se faire des saag (plat aux épinards) d'enfer.

Selon le Dr Richard Lessard, directeur de Santé publique de Montréal, la plupart des nouveaux arrivants apportent dans la métropole des habitudes de vie exemplaires à de nombreux égards. Ils marchent, notamment, et ils ont une alimentation variée, riche en fruits et légumes, essentiels à la santé et souvent manquants dans le régime des populations démunies traditionnelles. Ces immigrés récents, qui se sont toujours nourris de végétaux frais, n'ont donc pas les problèmes de santé généralement associés à leur classe socio-économique.

Après 10 ans à baigner dans nos mauvaises habitudes, toutefois, ils intègrent nos rangs et finissent par faire aussi piètre figure que nous tous. Malheureusement.

En attendant, la présence de nouveaux venus est souvent suffisante, dans les quartiers, pour assurer des approvisionnements en fruits et légumes que l'on ne voit pas dans d'autres secteurs de Montréal.

Prenez Parc-Extension, par exemple. On y trouve certainement autant de fruits et légumes que dans Mont-Royal, juste à côté, dont les rues cossues et très résidentielles comptent très peu de petits marchands de primeurs.

Mais avez-vous déjà essayé de trouver des fruits frais rue Ontario, à quelques pâtés de maisons à l'est de l'avenue Papineau?

C'est pour rejoindre des quartiers comme celui-là qu'il existe des organismes comme, par exemple, la Table de concertation du Faubourg Saint-Laurent, groupe oeuvrant à l'est du centre-ville, dont le marché est aussi un outil de réinsertion sociale et dont le panier coûte environ 40% moins cher qu'ailleurs. C'est aussi pour rendre fruits et légumes plus accessibles aux plus démunis que d'autres organismes essaient de mettre en place, sur le Plateau, notamment, des marchés «solidaires» où les fruits et légumes sont assez bon marché pour ne pas se faire damer le pion par l'industriel super-abordable. Car dans cet arrondissement, qui ne manque pas de fruiteries, ce sont les prix qui causent problème pour convaincre les plus pauvres de verdir leur alimentation.

En fait, ce qu'on réalise en discutant avec les intervenants en santé publique, c'est que l'approvisionnement alimentaire de la ville est incroyablement varié et qu'il est difficile de concevoir des solutions globales pour assurer à tous un approvisionnement de qualité, adapté aux moyens et écologiquement intelligent.

Ici, un quartier pauvre a des épiceries formidables; là, au contraire, c'est le royaume du dépanneur qui cartonne aux boissons gazeuses et aux chips à saveur de hot-dog.

Ici, un marché public s'approvisionne chez les mêmes grossistes que les supermarchés, sans politique d'achat local, et côtoie toutes sortes de fruiteries, alors qu'on s'attendrait, de la part d'une institution subventionnée, à de mesures d'exclusivité «fermière», comme à New York.

Là, toutefois, dans cette autre zone, tout marché pourrait être bienvenu, peu importe qu'il vende des bananes importées ou des concombres ultra-locaux, l'important étant qu'ils soient très accessibles et bon marché, sinon la population va se réfugier dans les aliments manufacturés très bon marché vendus au carrefour, ne pouvant se permettre de payer plus cher ou d'aller à l'autre bout de l'arrondissement pour faire l'épicerie.

Bref, «en santé publique, il n'y a jamais d'absolu», résume le Dr Lessard. On aimerait avoir des mesures qui règlent toutes sortes de problèmes d'un seul coup, mais la complexité de la réalité l'emporte.

Le marché du Faubourg Saint-Laurent se tient aux Habitations Jeanne-Mance le jeudi et au parc Émilie-Gamelin le vendredi, jusqu'à la fin d'octobre.