Deborah Lindsay a un rêve. Agricultrice bio installée à Saint-Philippe, tout près de Montréal, où elle produit entre autres choses des tomates cerises d'une douceur affriolante, elle rêve de donner un panier de ses légumes au chanteur Paul McCartney, qui sera en ville à la mi-août. «Il m'a nourrie toute ma vie avec sa musique», explique la fermière. «J'aimerais, à mon tour, pouvoir le nourrir un peu.»

Pendant qu'elle me parle de sa folle idée, des clients arrivent, ou des «partenaires», comme on les appelle dans le jargon des paniers bios. Ils saisissent aubergines et pâtissons, melons et poivrons rouges. «La moitié de mon salaire, dit la fermière, c'est leur sourire, c'est de les savoir heureux de manger mes légumes.»

Vous aurez compris que, à la Ferme à l'accueil chaleureux (c'est ainsi qu'elle s'appelle), le légume est plus qu'une nourriture. C'est de l'amour en bouchées.

La semaine dernière, vous avez été plusieurs à réagir à ma chronique sur le prix des légumes biologiques et naturels (des produits pratiquement comme le bio mais pas certifiés), et plusieurs à me demander où j'achète mes tomates ancestrales et ma volaille.

La réponse? En fait, il n'y a pas une réponse. Oui, j'avais une ferme en tête: les Jardins du ruisseau Ball, à Way's Mills, en Estrie. Mais de tels établissements, il y en a plusieurs autour de Montréal. Toutes sortes de fermes qui sont accessibles, toutes sortes de fermes où on peut constater que l'agriculture bio et naturelle n'est pas un business. C'est une vocation, un projet de vie, de l'affection en chlorophylle. Les prix que l'on nous demande reflètent tout simplement la réalité de la production.

Allez voir comment ces gens vivent, vous comprendrez.

C'est ce que j'ai fait cette semaine, en empruntant le Circuit du paysan, une route gourmande mise en place par les centres de développement locaux de Napierville et du Haut-Saint-Laurent, qui nous mène vers plusieurs de ces fermes, en Montérégie.

C'est ainsi, par exemple, que je me suis retrouvée chez Robert Patenaude, à la Ferme aux Hirondelles, qui nous a fait goûter à ses confitures de griottes, à son jus de poire. Tout bio.

Installé au bord d'une petite route à Lacolle, où les champs s'étalent doucement pour laisser la place, au loin, aux montagnes, la ferme de M. Patenaude est faite de vergers, de champs de foin, de parterres d'hémérocalles rares. On trouve même toutes sortes de noyers sur cette ferme qui aime produire autre chose que tout le monde.

Je goûte à un morceau de prune séchée, à la fois charnue, acide, sucrée... Lorsque je demande au producteur pourquoi il ne prépare pas des sachets de fruits et noix pour les randonneurs, il s'interroge sur le prix. La clientèle accepterait-elle?

Un peu plus loin sur le circuit, arrêt chez Sylvain Mercier et Jacinthe Desmarais, propriétaires de Suro, une ferme qui produit du sureau biologique.

Il y a deux ans, j'avais rencontré le couple lors d'une soirée organisée par le chef du Toqué!, Normand Laprise, pour présenter au public les personnes qui sont derrière les produits du terroir qu'il sert à son restaurant. À l'époque, les gens de Suro commençaient ce nouveau projet et ne savaient pas comment le marché allait réagir à ce petit fruit indigène, couleur du cassis, parfumé et acide, et dont les fleurs blanches se boivent en infusions sucrées en Scandinavie.

Aujourd'hui, les affaires vont bien. La ferme vend ses fruits nature, mais les transforme aussi en produits médicinaux, en confitures, en vinaigrettes. Sur place, on peut même acheter des macarons au sureau. Quand je demande à M. Mercier s'il pense un jour devenir le Bleu lavande du sureau, il éclate de rire. Il n'en est pas là. Chez lui, il n'y a pas de parking géant. Et on ne paie pas pour visiter les lieux.

Ensuite, direction Saint-Isidore, chez Danielle Leduc, à la ferme Passion Bio. Première chose qui frappe tout le monde en arrêtant devant le champ: la qualité de la terre, noire comme du gâteau au chocolat 70%. «Ici, tout pousse bien, lance l'agricultrice. Même les mauvaises herbes.»

Certaines allées, qui ont été nettoyées, sont impeccables. D'autres ressemblent à de petites forêts. On cherche les feuilles de carottes entre les envahisseurs. Le travail quotidien est prenant. Lourd. Sarcler tout cela est un job à temps plus que plein. Mme Leduc est aidée de ses trois garçons, mais la trentaine de clients qui lui achètent ses paniers de légumes chaque semaine et les visiteurs de passage ne sont pas assez nombreux pour justifier des embauches extérieures. Alors tout est fait en famille. «Les gens n'ont aucune idée de la quantité de travail que chaque légume représente», lance-t-elle. Malgré les prix plus élevés du bio, l'argent ne tombe pas du ciel, ne pousse pas dans les arbres et à peine dans les champs.

D'ailleurs, Mme Leduc avoue que le modèle d'affaires choisi au départ par la famille n'a pas marché. Son mari, agriculteur formé à Saint-Hyacinthe, qui travaillait à la ferme à temps plein au début, s'est trouvé un emploi ailleurs.

Si vous passez par là, vous verrez probablement la famille au champ. Ne vous inquiétez pas s'il n'y a aucun légume sur la petite table, à l'entrée. Ce n'est pas parce qu'il n'en reste plus ou parce que c'est fermé. C'est parce qu'on vous invitera à choisir ce que vous voulez avant d'aller le chercher directement dans le potager.

Pour les coordonnées de ces établissements, rendez-vous sur le blogue de Marie-Claude Lortie à www.cyberpresse.ca/lortie