Avouons-le: en 2010, le mot syndicat n'est généralement pas synonyme de progressisme frais et moderne.

Prononcez-le devant des membres de la génération X ou Y et ils imagineront un grisonnant personnage muni de trois exemplaires d'une convention collective, prêt à en réciter chaque article, dans le jargon d'usage. Ce ne sont pas vers ces organismes, disons-le, qu'on a le réflexe de se tourner, moi la première, pour des relectures vitaminées et des solutions aux grands maux actuels de nos sociétés.

Pourtant, dans le très complexe et délicat dossier des accommodements raisonnables, de la laïcité et de l'intolérance, on devrait tous prendre le temps d'entendre ce qu'a à dire la CSN, par la voix de sa présidente, Claudette Carbonneau.

 

Elle était mercredi matin à Québec, devant la Commission parlementaire sur le projet de loi 94 encadrant les accommodements. Puis mercredi soir, au colloque organisé par le Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité. C'est là que j'ai pu l'entendre et réaliser que parmi les représentants d'institutions québécoises, c'est une des rares qui rassemblent les enjeux aussi lucidement, pour en extraire une position ouverte et surtout, réaliste.

La CSN, en gros, demande plus qu'une loi, soit l'adoption d'une Charte de la laïcité qui deviendrait une toile de fond bloquant l'ingérence des religions dans les prises de décision de nos institutions publiques. «Il faut, résume Mme Carbonneau, avoir un cadre pour assurer la neutralité de l'État.»

Un des premiers gestes à faire, donc, serait de retirer de la sphère gouvernementale et étatique les signes religieux, en commençant par le crucifix catholique à l'Assemblée nationale.

Installé là en 1936 par Maurice Duplessis, il pourrait être accroché ailleurs, où son sens historique et culturel serait intact, mais sans portée politique.

De la même façon, la CSN croit qu'il faut interdire le port de tout symbole religieux ostentatoire par les représentants de l'État, notamment chez les personnes qui sont en autorité (les juges et les policiers notamment) ou alors des modèles (par exemple les professeurs de toutes les écoles publiques, des CPE aux cégeps).

Aussi, la CSN rejette toute possibilité d'accommodement créant des services sexués, au nom de la religion. «La pudeur, c'est une chose, et on connaît bien cette question notamment dans le domaine de la santé, mais ça n'a rien à voir avec la religion. Là où ça ne marche pas, c'est quand on invoque la religion pour demander d'être servi par un homme ou une femme. Ça, ça ne marche pas», explique Mme Carbonneau.

Cela dit, la présidente de la CSN n'est pas une adepte du «mur à mur» à toute épreuve ou toutes les particularités de chacun sont gommées, partout, tout le temps. Qu'une caissière de la SAQ porte le voile, ça n'a pas le même sens qu'une éducatrice dans un CPE, qui, elle, joue un rôle de modèle auprès des enfants.

Car pour les CPE, la CSN est formelle: pas de signes religieux. Pourtant, les CPE comptent de nombreuses éducatrices portant le voile islamique. La syndicaliste en est bien consciente. «D'ailleurs, dit-elle, ça sent le ghetto d'emploi.» Il faudrait essayer de comprendre pourquoi elles sont si nombreuses, ajoute-t-elle, et s'il n'y a pas «un problème de diplômes non reconnus.» En outre, Mme Carbonneau tient à préciser que le voile et l'islam ne sont absolument pas les seuls visés dans ces interrogations sur la place de la religion dans les écoles et garderies, et ailleurs dans les institutions publiques. Elle s'inquiète aussi de la présence de toutes sortes d'autres courants religieux, chrétiens notamment, néo-évangéliques et compagnie, qui tentent, notamment, de faire leur chemin vers les enfants.

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La position de la CSN a été élaborée à la suite de trois conseils confédéraux, de grandes rencontres où étaient présents des représentants de tous les secteurs d'emplois membres de la centrale. Et c'est là, donc avec des gens qui oeuvrent sur le terrain avec des travailleurs de toutes origines et confessions, que s'est forgée la pensée du regroupement syndical.

Et on sent dans le document présenté par le syndicat - que l'on peut trouver sur le site internet csn.qc.ca - cette nécessité de trouver des positions réellement vivables sur le terrain, dans les milieux de travail.

La réflexion pragmatique tient compte autant de l'héritage anticlérical de la Révolution tranquille que de l'adhésion des travailleurs aux concepts d'égalité défendus par les chartes des droits, que d'une réelle volonté de cohabitation sereine avec toutes sortes de Québécois d'origines et de religions diverses, arrivés ici récemment ou depuis plusieurs générations. (Accommodements et immigration récente ne vont pas de pair, tient à préciser Mme Carbonneau).

En d'autres mots, c'est de la réalité du monde du travail qu'est issue cette réflexion et non d'une recherche de compromis avec des représentants d'organismes religieux.

La nuance est cruciale. «Dans les milieux de travail, on trouve facilement des moyens de vivre avec des gens simplement croyants», dit Mme Carbonneau. Les difficultés arrivent quand la ferveur religieuse et son ordre du jour passent à un autre niveau.