Réussir à faire paraître la Ville de Montréal comme un organisme résolument moderne, à l'écoute des citoyens et à la recherche de projets durables et innovateurs, ce n'est pas rien. Ce tour de force a toutefois été réussi hier par le ministère des Transports du Québec.

Bravo.

Grâce à la décision du gouvernement Charest de rejeter d'un revers de main le projet de l'administration de la métropole pour remplacer l'échangeur Turcot, c'est notre Ville, maintenant, qui a l'air proactive et allumée et futuriste. Merci. On avait presque cessé d'en rêver.

 

Mais est-ce réellement une bonne nouvelle de réaliser qu'il peut toujours y avoir pire, cette fois un gouvernement provincial qui refuse de prendre acte de l'unanimité montréalaise pour cette nouvelle option? Car ce nouveau projet, qui répond à celui du MTQ critiqué de toutes parts, est peut-être tardif, mais il est appuyé par l'administration municipale ET par son opposition, ainsi que par le Parti québécois et par toutes sortes de groupes citoyens, allant d'Héritage Montréal à la Direction de la santé publique en passant par le Conseil régional pour l'environnement (regroupement de 130 organismes montréalais).

Quand tant de gens se réunissent pour approuver une idée, alors qu'on est un gouvernement en déficit de confiance et de légitimité, n'est-ce pas la moindre des choses que d'écouter et de prendre le temps de regarder par cette porte ouverte s'il n'y a pas une voie de sortie élégante?

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Pour une fois, la Ville de Montréal, dont ce n'est pas l'habitude, disons-le, est en effet arrivée avec un projet inspiré, peut-être pas parfait, mais tourné vers l'avenir. Car c'est un projet qui, au-delà de la seule préoccupation du prix, s'intéresse à Montréal, à sa qualité de vie, à son urbanisme, à ses citoyens. C'est un projet qui manifeste que, contrairement à ce que propose le MTQ, on ne veut pas de routes au sol aux allures de boulevards Taschereau sur les stéroïdes, surbétonnées et cloisonnant la cité. La nouvelle structure proposée est suspendue, donc la vie et les liens peuvent continuer dessous. Elle prévoit plus de transports collectifs, plus d'intégration urbaine. On propose du Turcot nouvelle génération, qui tire des leçons du passé en cherchant à être innovateur, comme le vieil échangeur à son époque.

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La réaction de la ministre des Transports, Julie Boulet, a été rapide. Ça va coûter 6 milliards a-t-elle lancé. Trop pour un projet qui pourrait en coûter 2. Mais d'où sort ce chiffre? Du ministère des Transports à qui on a demandé d'évaluer les coûts d'un projet concurrent au sien. Comment croire à cette évaluation?

Cela dit, élever les voies peut effectivement coûter plus cher que les laisser au sol. Mais n'importe quel contribuable qui a déjà fait un peu de rénovation dans sa vie connaît cette vérité immuable: parfois, il faut payer davantage que ce qu'on aimerait pour faire correctement les choses. Le bon marché est fréquemment une mauvaise solution qui finit par nous retomber sur le nez.

On ne parle pas de luxe. On parle d'investissement à long terme et d'une garantie contre l'usure prématurée, les frustrations de l'à peu près et contre la nécessité de tout refaire, trop vite, à prix encore plus élevé.

Donc, quand la ministre des Transports, Julie Boulet, lance «Quand on peut faire un échangeur à 2 milliards, est-ce qu'on a le luxe ou les moyens de s'en payer un de 6 milliards? « au sujet d'un projet qui n'emballe personne à Montréal, ce que j'entends, moi, c'est la logique des magasins à 1$ à l'oeuvre: achetons à meilleur marché possible, peu importe la qualité.

Et puis, revenons en terminant sur tous ces chiffres lancés par le MTQ, en commençant par ces 2 milliards pour le projet d'échangeur au sol, maintenant présentés comme une bonne affaire. Il n'y a pas si longtemps, la construction du viaduc de Millau, en France, structure routière suspendue spectaculaire au point d'être devenue une attraction touristique (elle bat des records de hauteur et sa solidité est assurée pour 120 ans!) a coûté l'équivalent de 600 millions de dollars.

Comment expliquer l'écart?

Peut-être que les ingénieurs du MTQ vont lancer qu'on ne peut pas comparer de tels ouvrages et que le prix serait plus élevé maintenant - le viaduc a été inauguré en décembre 2004. Mais il est difficile, aujourd'hui, au Québec, de ne pas se demander si on paie réellement les bons prix pour nos constructions routières.