Si manger des brocolis, des choux de Bruxelles ou de la papaye est pour vous un geste pas mal plus santé que gourmand, voilà une étude qui pourrait vous donner envie de jeter vos bettes à carde au curcuma dans la mare.

Publiée hier dans le Journal of the National Cancer Institute et signée par un groupe de 52 chercheurs, piloté par l'épidémiologiste Paolo Boffetta de l'École de médecine du Mount Sinai à New York, l'étude s'est penchée sur la santé de 470 000 personnes dans 10 pays européens, pour conclure qu'on ne peut établir de lien miraculeux entre la consommation de fruits et légumes et la prévention du cancer.

 

«Nous avons trouvé un certain effet protecteur», m'a confié hier soir au téléphone le Dr Boffetta, joint en France. «Mais il n'est pas très important.»

Au départ, explique le professeur, le but de la recherche était simple, même s'il s'agit de la plus vaste étude jamais conduite sur la question. On voulait trancher entre deux courants très différents présents dans le monde scientifique depuis les années 80: celui qui dit que manger fruits et légumes prévient le cancer et celui qui dit que la consommation de fruits et légumes n'a aucun impact. «Et on a trouvé, dit le Dr Boffetta, que la réponse est entre les deux.»

Fruits et légumes n'ont pas aucun impact. Mais l'impact est faible. Et c'est à peu près tout ce qu'on peut dire sur le sujet.

Alors on fait quoi? ai-je demandé au Dr Boffetta. On continue de manger des fruits et des légumes, a-t-il répondu. Mais parce que c'est bon pour la santé pour toutes sortes de raisons autres que l'unique prévention du cancer. Et puis, a-t-il expliqué, on s'enlève de la tête que manger fruits et légumes est une sorte de médication miracle.

La seule chose qu'on peut faire si on veut concrètement, efficacement, indubitablement prévenir le cancer, c'est arrêter de fumer. Parce que le lien entre cancer et tabac est le plus fort qui existe en épidémiologie. Pour le reste, la réalité, c'est qu'on ne sait pas trop.

* * *

Étonnant comme résultats de recherche?

Tous ceux qui suivent la nutrition, ou du moins qui lisent les résultats des recherches publiés dans les médias, l'auront constaté: c'est un domaine qui nage dans les remises en question et hors des absolus.

Un jour, un aliment a l'air formidable. Le lendemain, plus du tout.

Les contradictions abondent. Ou, du moins, les constats qu'on en tire dans les grands titres, puisque les recherches, elles, lorsqu'on les lit en détail, finissent souvent par admettre que rien n'est aussi noir ou blanc qu'on le laisse entendre.

Prenez les recherches sur les vertus réelles ou non du vin et du café, par exemple. Elles défilent sans qu'on ait le temps de finir notre gorgée, en disant tout et son contraire... Bon, pas bon? Ça dépend du jour.

Cela, toutefois, n'empêche pas les gourous et les autres communicateurs «santé», gouvernementaux ou pas, de trier les résultats qu'ils veulent bien voir, pour nous faire ensuite la morale - mangez ceci, c'est «Bien», évitez ceci, c'est «Mal» -, alors qu'on flotte dans un univers pourtant scientifiquement sans absolu. Et qu'on parle à un public qui n'est pas homogène et dont les circonstances sont multiples. Par exemple: que doit faire la personne à tendance anémique quand on condamne la viande rouge, aliment abonné au banc des accusés? Et est-ce vraiment pire de manger de l'agneau tout naturel (viande rouge) que du tofu fait de soja OGM? Qui le sait vraiment?

La vraie leçon de cette recherche n'est donc pas de manger plus ou moins de fruits ou de légumes, c'est de se méfier des sciences de l'alimentation. C'est d'abandonner cette idée manichéenne qu'il puisse y avoir de bonnes et de mauvaises nourritures, aux impacts implacables. Surtout que penser ainsi, c'est aussi extraire l'alimentation de réalités culturelle, historique, sociale, économique, environnementale, tout aussi importantes et qui ne doivent pas être négligées pour des considérations de santé floues.

En suranalysant les aliments, les scientifiques triturent notre nourriture, mais ils ne nous donnent pas de réponses réellement fiables et nous mettent souvent sur de mauvaises pistes. Cette recherche en est une autre preuve. Continuons donc de manger fruits et légumes. Mais parce qu'on les trouve délicieux, qu'on en a envie, parce qu'on a faim, qu'ils sont frais, que c'est la saison, parce que quelqu'un les a préparés pour nous. Parce que l'humain est un omnivore et que c'est juste normal et surtout naturel d'en manger régulièrement.