Elle est arrivée au café Laïka, haut lieu de rencontre de la scène numérique montréalaise, avec son Nexus One à la main, probablement pour s'inscrire sur Foursquare. Eh oui! Exit le iPhone, bonjour le téléphone Google. Dans le monde de Tara Hunt, on est toujours déjà ailleurs.

Née en Saskatchewan, élevée en Alberta, consacrée grande spécialiste du web en Californie avec The Whuffie Factor, ouvrage paru en 2009 sur la compréhension des communautés sur le web, Tara Hunt est maintenant montréalaise.

 

Au terme d'une longue traversée de l'Amérique en motorisé, où la promotion de son dernier opus s'est combinée à l'organisation de soirées karaoké - une passion - elle est venue s'installer ici en août dernier.

Depuis, Miss Rogue, comme elle se fait appeler sur les réseaux sociaux de la Toile, est installée sur le Plateau, non loin du parc La Fontaine, avec son fils de 17 ans et son chien Ridley, dont on peut suivre les pérégrinations à @ridley sur Twitter.

Hunt n'a pas 40 ans, mais elle fait partie des personnalités incontournables dans l'anthropologie du monde 2.0. Son best-seller, dont le titre est construit avec un terme emprunté à la science-fiction, parle de l'importance de la réputation et du capital de sympathie nécessaire pour réussir dans l'univers interactif de demain.

Pourquoi a-t-elle quitté San Francisco et la mouvance de Silicon Valley pour s'installer ici? «Parce que je voulais recommencer ailleurs, de nouveau. J'ai pensé à La Nouvelle-Orléans, à Philadelphie et même à Boulder, au Colorado. Mais je voulais aussi rentrer au Canada. Et je savais qu'à Montréal il y avait une bonne communauté techno.»

La métropole, dit-elle, est en fait en pleine ébullition du côté des micro-entreprises en démarrage. Elle-même travaille à un projet appelé Shwowp, qui vise à aider les consommateurs côté shopping. Mais elle fait une liste, en quelques minutes, d'une demi-douzaine d'entreprises prometteuses parties d'ici: Praized, Akoha, Book Oven, Status.net... Et la liste continue.

«Ici, les gens sont fiers d'être à Montréal et veulent rester ici. À Toronto, tout le monde regarde vers Silicon Valley», note-t-elle. Selon la spécialiste, la seule autre scène canadienne aussi dynamique en matière de nouveaux projets sur le web est à Waterloo, dans le sud de cette Ontario qui a donné naissance à Research in Motion, créatrice du célèbre BlackBerry.

«Ici, je ne sais pas si c'est le facteur linguistique, mais il y a une ouverture à la prise de risque, ajoute-t-elle. De plus, mon loyer est le tiers de ce qu'il était à San Francisco.»

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À Montréal, Tara Hunt a aussi trouvé une communauté très active, plus ou moins séparée en deux par le facteur linguistique, mais allumée et ouverte.

«Il y a des événements et des rencontres pratiquement tous les soirs», note-t-elle. Jeudi c'était le Twestival. Avant ça, il y a eu une soirée pour les Geek Girls. La Toile met les gens en lien, puis le contact se fait dans des soirées où, le temps d'une bière ou d'un café, l'interactivité passe du virtuel au réel. Cette construction de nouveaux liens communautaires, où l'on oscille constamment entre le «en ligne» et le «débranché», est centrale dans ses interrogations.

Car la frontière, en fait, est en train de disparaître, de se transformer. Elle-même vit entièrement sur ces deux niveaux à la fois. Branchée sur Twitter, blogueuse, elle n'hésite pas à dire où elle est, physiquement, dans la ville, sur le site Foursquare. «Tu veux encore mieux?» Elle me montre comment fonctionne, sur son Nexus One, l'application Latitude, qui permet de pointer la boussole du téléphone dans certaines directions pour voir si des amis s'y trouvent.

Avez-vous dit science-fiction?

«Tu n'as rien vu, rétorque-t-elle. Connais-tu Sixth Sense?»

Mis au point par un doctorant de MIT, ce système pousse encore plus loin l'intégration de l'ordinateur à l'humain. Le corps devient pratiquement une interface en soi. Selon Tara Hunt, on verra quelque chose de ce type dans cinq ou 10 ans. Oui, vous avez le droit de penser à Minority Report... «Mais j'espère que tout restera positif!»

En fait, selon la chercheuse-entrepreneure, le positif a de l'avenir. Ou du moins les valeurs humaines, enveloppantes, nourrissantes, qui sont cruciales à notre survie au quotidien. La concurrence à outrance, l'efficacité poussée à ses limites, la course, la vitesse qui étourdit, les profits à tout prix sont des réalités qui sont appelées à s'estomper, croit-elle.

Le web permettant aux citoyens et aux consommateurs de contourner les sociétés qui les bousculent et les heurtent, ce sont les entreprises embrassant les valeurs «que nous chérissons» qui réussiront dans le futur. Et elles seront nécessairement plus petites que les mastodontes que nous connaissons. «Car pour grossir autant, il faut être performant. Or, les valeurs porteuses de l'humanité sont désordonnées, inefficaces...»

L'entrevue continue. On parle des marques qui incarnent déjà ces valeurs cruciales - Apple et la beauté, Google et la vérité, Zappo et le bonheur... On parle des autres gourous du web qui sont à Montréal. Du karaoké, qu'elle adore, parce que tout le monde peut participer.

Dehors, Ridley attend tranquillement même s'il fait un peu froid.

Dans 10 ans, je me demande s'il «twittera» vraiment.