Il doit être près de minuit mais, dans la 6e Rue, au centre-ville d'Austin, on est comme en plein jour. La foule, dense, attend d'entrer dans les boîtes où ont lieu les dizaines de fêtes du festival interactif de South by Southwest (SXSW). Soudainement, les flashes des appareils photo crépitent de toutes parts. Une vedette est parmi nous.

Est-ce Ashton Kutcher, l'acteur qui a embrassé le réseau social Twitter et a grandement participé à sa reconnaissance par le grand public? Est-ce Demi Moore, elle aussi grande adepte de micro-blogging? Est-ce Lance Armstrong, le champion cycliste originaire d'Austin? Pas du tout. La grande vedette, c'est Kevin Rose, le fondateur de Digg.com, un réseau de partage de liens sur l'internet. Celui qui attire les foules, fait monter la fébrilité d'un cran, crée tout un mouvement de rue est un super-techno, un vrai geek.

 

Bienvenue à South by Southwest.

Bienvenue dans un festival de musique et de cinéma qui réunit également, chaque année, dans le sud-sud-ouest des États-Unis, des milliers de créateurs du web. Bienvenue dans un monde qui vit 5 ans, 10 ans en avance sur vous et moi, technologiquement parlant, et qui est en train d'inventer l'univers interactif de demain.

Trop de bruit

«Il faut absolument améliorer notre rapport signal-bruit», lance en conférence Evan Williams, un des fondateurs du réseau Twitter, cet outil web qui a eu un impact retentissant dans la dernière année, autant sur les communications interpersonnelles dans le monde entier que sur le relais d'information en temps de crise - pensons Haïti, Chili, Iran... Williams parle à une salle gigantesque remplie de milliers de spécialistes de la techno qui hochent la tête. Tout le monde comprend ce qu'il veut dire. Améliorer le rapport bruit-signal signifie qu'il faut trouver des outils pour mieux filtrer le flot énorme et incessant de données (parfois totalement inutiles) qui circulent sur le web, pour mieux cibler les internautes et leurs besoins particuliers.

Plus le festival avance, plus on entend de conférenciers et de participants parler de l'avenir du web, et plus on se rend compte que cette amélioration du rapport signal-bruit est au coeur des préoccupations des acteur-clés de SXSW.

On aboutit trop souvent sur des sites dont on ne connaît pas la fiabilité. On tombe trop facilement sur du crowdsourcing (approvisionnement par la foule) ingérable. On est soûlé d'information par Google. Il y a trop de commentaires inintéressants (et hargneux) publiés partout et n'importe où. Bref, le potentiel formidable du web se noie dans la perte de temps et les rebuts informationnels.

Ce que tout le monde cherche, donc, «c'est ce qui va nous permettre d'avoir une alimentation en information la plus intelligente possible», explique Nicolas Bertrand, de Share This, une entreprise qui aide les internautes à partager facilement de l'information sur le web et qui répertorie ce partage. Par information intelligente, on ne veut pas dire uniquement intellectuellement supérieure, mais aussi ciblée, précise, qui correspond le plus possible à nos besoins et qui répond à ces besoins.

«Il y a beaucoup de choses intéressantes sur le web et plus de gens que jamais pour les dire. Mais c'est aussi de plus en plus difficile de les trouver», ajoute Brad Flora, coordonnateur de Windy Citizen, une sorte de blogue de blogues qui trie le meilleur du web à Chicago.

Le privé en péril?

Pour extraire la bonne information de la masse, on peut compter sur les humains qui gèrent des sites comme celui de M. Flora. On peut compter sur les utilisateurs eux-mêmes qui, avec des sites comme Twitter, structurent eux-mêmes l'information qu'ils veulent recevoir. Et puis il y a aussi des sites plus robotisés, comme Digg, Share This, Bing, les produits de la famille Google, évidemment, qui cherchent à comprendre informatiquement ce que l'on veut et ce qui nous intéresse.

Et puis, il y a mille et une autres «applications» existantes et en devenir, qui, en combinant à diverses doses participation humaine et algorithmes, cherchent à nous comprendre et à fournir, précisément, LA réponse à nos besoins en information, exprimés ou, de plus en plus, anticipés.

Les dernières sous-tendances, dans cette quête de façon d'informer intelligemment? Le géopositionnement et le ludique, ce qu'illustrent très bien deux sites en pleine ascension, Foursquare ou Gowalla.

Leur utilité: ils permettent d'échanger, en temps réel, des renseignements sur ce qu'on est en train de faire en donnant carrément notre position dans la ville, le tout dans un environnement de jeu. À Austin, le week-end dernier, tout le monde faisait du check in. Ainsi, on peut savoir qui est avec nous au resto ou qui n'est pas loin dans une fête. Lorsqu'on veut réseauter pour affaires ou se lier d'amitié avec la voisine du collègue, c'est fort utile.

Mais autrement, n'est-ce pas une frontière de trop à franchir?

«Que cherchez-vous à obtenir, avec qui essayez-vous de parler?» a demandé la conférencière Danah Boyd, spécialiste des réseaux sociaux à Harvard et à Microsoft, aux participants de SXSW, en expliquant que pour chaque ouverture des réseaux, des vulnérabilités se créent. Veut-on vraiment tout dire sur tout? Sommes-nous vraiment certains de bien maîtriser les mécanismes de protection de la vie privée mis en place dans les différents sites de communication? Sont-ils vraiment efficaces? «Est-ce parce que certaines choses sont publiques qu'on peut se permettre de les rendre encore plus publiques?» a ajouté Mme Boyd dans un discours rempli de mises en garde.

«On est devenu public par défaut et privé avec effort», a-t-elle lancé aux milliers de créateurs interactifs rassemblés à SXSW. «Assurez-vous de créer l'avenir dans lequel vous avez envie de vivre.»