Le volet gourmand du festival Montréal en lumière n'est toujours pas ce qu'on aimerait qu'il soit vraiment. Une vraie fête d'hiver où la gastronomie se déclinerait pour tout le monde, à l'extérieur et à l'intérieur. Une véritable version hivernale des super démocratiques fêtes que sont le Festival de jazz et les FrancoFolies où, oui, certains chanceux peuvent assister à des spectacles en salle de grande qualité, en achetant des billets parfois à fort prix, mais où tout le monde peut aussi participer pleinement grâce aux concerts en plein air, gratuits.

Pour le Montréal en lumière gourmand, il y a bien quelques activités grand public gratuites, notamment au marché Jean-Talon ou au Complexe Desjardins, mais ce n'est pas grand-chose quand on regarde l'ensemble des activités du festival. Le coeur de l'action se passe en fait dans les restaurants où des chefs invités venus de loin, chaque année, se joignent à ceux d'ici pour préparer des repas parfois exceptionnels, mais parfois aussi fort décevants, et ce, même si les prix peuvent être plutôt extravagants.

 

Il manque d'activités publiques, ouvertes et d'assez grande envergure pour ne pas dire prestigieuses, pour rééquilibrer le tout.

Il manque de dégustations dans la rue, il manque de pique-niques urbains, il manque le «dîner en blanc», tiens, ce grand repas en plein air pendant l'été, qui pourrait aussi avoir lieu en février. Il manque de vin chaud, de chocolat brûlant, de marrons rôtis, de phô à emporter et à déguster entre deux balles de neige. Il y a la superbe Nuit blanche, le dernier samedi du festival, oui, où le Montréal plus culturel que gastronomique reste debout jusqu'aux petites heures, créant des moments magiques dans la cité.

Mais il faudrait aussi des midis au chili, des cocktails de glace, l'heure de la soupe ou du curry - en plein milieu de la rue, de la même façon que les festivals d'été se passent dehors. On voudrait des artères fermées où rôtissent des bêtes, où frémissent des marmites de bouillon, où les huîtres se prélassent dans la neige, à côté de blancs bien minéraux, eux aussi gardés au frais plantés dans des congères.

S'il y avait tout ça, peut-être alors regarderions-nous ailleurs qu'uniquement vers les restaurants où les notes parfois bien imposantes forcent un regard proportionnellement critique.

Combien de fois m'a-t-on dit que ce festival était en fait réservé aux foodies en moyens. «Non, non», je leur dis. Il y a des bonnes affaires (le repas du midi de Vitor Sobral à l'ITHQ pour 18$, par exemple). Et comprenez que dans leurs restaurants, à New York, Paris, Lisbonne, Madrid ou ailleurs, manger chez ces chefs coûte souvent bien plus cher que ce qu'ils demandent à Montréal.

Mais parlez-en à ceux qui ont payé 300$ pour le repas du président d'honneur, Fausto Airoldi, chez Ferreira Café. Une chance que le producteur de vins et de porto Dirk Niepoort a sauvé la soirée en ouvrant une bouteille de porto de 1863 (j'ai écrit 1867 dans un texte samedi). Car mis à part la morue pochée à la mousseline de pomme de terre, aucun plat du repas, ni les pétoncles, ni le mérou, ni le porc à la coriandre et aux palourdes, ne méritaient une étiquette «exceptionnel». Sans foie gras, sans huîtres, sans homard, sans aucun des ingrédients luxueux normalement associés aux factures astronomiques, c'était un fort bon repas. Mais voilà. Fort bon. Sans plus.

Chaque année, il y a ainsi des réussites et des ratés et des soirées qui suscitent la controverse. Personnellement, j'ai adoré mon passage au Laurie Raphaël, où le chef Daniel Vézina recevait José Avillez, chef de Lisbonne qui a cuisiné assez longtemps chez El Bulli, cathédrale de la cuisine moléculaire, pour faire de cette approche en cuisine une passion. Mais j'ai entendu, au sujet de cette soirée, des commentaires de toutes sortes. Certains ont adoré l'huître encaissée dans du chocolat blanc salé, d'autres ont détesté. J'ai trouvé divin le saumon longuement et ultradoucement poché au yaourt et aux deux daïkon (en purée et frais). Mais le plat n'a pas fait l'unanimité. L'oeuf poché couvert d'une feuille d'or, en revanche, a frappé un coup de circuit.

Peu importe les commentaires, c'est exactement pour ce genre de repas qu'il est intéressant d'aller au festival. C'est innovateur, totalement différent de ce qui se passe ici. On a l'impression d'apprendre quelque chose, comme ce fut le cas, aussi, chez Toqué! qui recevait le chef espagnol Sergi Arola. On se rappellera longtemps, par exemple, la saucisse de pétoncles au jus de truffe, ou alors du foie gras à l'émulsion de chou-fleur et aux champignons. Et quelle présentation pour le pigeon, reconstruit sous forme de betterave...

La réaction que j'ai le plus souvent entendue, toutefois, durant le festival, de la part de convives venus découvrir les plats des chefs portugais, c'est à quel point les vins étaient bons. Cette année, il y avait en effet à Montréal une délégation importante de producteurs portugais, réunis dans l'organisme Les grands vins du Portugal, qui ont apporté ici de très bons crus.

Retenez ces noms: Cristiano Van Zeller, Luis Pato, Niepoort, Pintas, Campolargo, pour n'en nommer que quelques-uns. Toute la semaine, le festival nous a permis de goûter à leurs vins, de rencontrer certains d'entre eux, de connaître leurs histoires et d'être enthousiasmé par le vent de changement qui a transformé les vins de la région du Douro, notamment, mais qu'on connaît toujours peu ici.

Justement, un petit verre de rouge du Douro, de Bairrada ou de l'Alentejo, avec un sandwich au chouriços ou, mieux, au cochon de lait rôti, en pleine rue, pour moins d'une vingtaine de dollars, ça aurait été vraiment amusant, non? Est-ce vraiment impossible à organiser?

 

Photo: David Boily, La Presse

Le repas du président d'honneur, Fausto Airoldi, chez Ferreira Café, était bon, mais son coût était astronomique.