Anna Capobianco-Skipworth est une survivante. Elle a gagné une dure bataille contre un cancer du sein. Puis une autre contre le cancer des ovaires, il y a quatre ans. Cette maladie, elle connaît. Les antichambres de médecins, les hôpitaux, les mauvaises nouvelles, l'angoisse de l'attente des résultats: elle a donné.

La maladie ne l'impressionne plus. Ni les discours médicaux.

Si bien qu'hier, quand elle a entendu le ministre de la Santé dire que finalement, il était «rassuré» dans le dossier du cancer du sein parce que les marges d'erreur des analyses pathologiques étaient normales, elle n'a pas attendu d'entendre trois contre-opinions pour bondir.

«On n'est pas des pourcentages, m'a-t-elle lancé au bout du fil. On est des humains. Dans un vrai monde idéal, il n'y a aucune marge d'erreur et rien de moins n'est réellement acceptable. Peut-être que la perfection n'existe pas. Mais une marge acceptable? Non, ça ne se dit pas.»

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a rendu publics hier les résultats des contre-expertises demandées à un laboratoire de Seattle pour clarifier la précision des tests de pathologie faits au Québec sur environ 3000 patientes souffrant de cancer du sein entre avril 2008 et juin 2009.

Le but des tests était de vérifier si les analyses faites ici étaient justes. Dans tous les cas, le cancer avait déjà été détecté et les patientes savaient qu'elles étaient atteintes. Il s'agissait de déterminer le type de cancer afin de voir s'il était possiblement traitable à l'Herceptin ou par hormonothérapie.

Les contre-analyses ont changé les résultats de 87 patientes, dont 39 sont aujourd'hui traitées différemment. Des chiffres rassurants, croit le ministre. «La médecine est un art, ce n'est pas mathématique, a-t-il dit hier en conférence de presse. On sait maintenant que nos tests sont très bons, mais pas parfaits.»

Pour le public, pour tous ceux qui ont peur du cancer, pour les survivantes, pour leurs proches, l'admission de cette imperfection n'est pas nécessairement digeste.

Pour les médecins, parler de marges d'erreur fait partie de la routine. Ils savent très bien que statistiques et probabilités font partie de la nature même de leur travail. Mais nous, les autres, on a beau être adultes, savoir que la vie est une immense séance de gestion de risque, il demeure toujours difficile d'accepter aisément qu'il y a X% de gens pour qui le malheur risque de s'abattre à 100%.

En fait, on a tous peur que cette statistique à la fois minuscule et immense, ce soit nous, évidemment.

Surtout que dans ce cas-là, on parle de 39 patientes. Si on dit 39 sur 3000, c'est peut-être peu, mais il s'agit quand même de 37 personnes atteintes d'une maladie mesquine que l'on commence à peine à dompter, mais capable du pire.

«Il dirait quoi, le ministre, le Dr Bolduc, si c'était sa femme, sa soeur, sa mère, sa fille? demande Mme Capobianco-Skipworth. Parlerait-il de marge d'erreur? Il faut faire attention aux mots.»

Et il ne faut pas oublier les chiffres non plus.

Cinq des 87 patientes dont le cancer a été classé différemment par le laboratoire de Seattle sont mortes depuis.

On ne peut pas dire que si leur cancer les a tuées c'est parce qu'il a été mal traité puisqu'on ne savait pas avec assez de précision de quel type de tumeur il s'agissait, a tenu à expliquer le ministre.

Mais on ne peut pas nier, non plus, a-t-il admis, qu'il y ait possibilité de lien. En d'autres mots, on ne peut rejeter totalement l'idée qu'un traitement plus approprié pour un cancer mieux cerné aurait pu sauver la vie d'une de ces patientes.

Tout cela est théorique, mais dans le domaine du statistiquement possible. Et dans le domaine, aussi, du difficile à accepter quand on sait à quel point le cancer du sein est imprévisible, un jour prêt à céder devant le premier traitement, un autre jour féroce et inébranlable. Qu'une tumeur soit mal identifiée, ce n'est pas rien. Ça n'a peut-être pas l'air aussi grave qu'un mauvais diagnostic de cancer où quelqu'un n'aurait pas de traitement, ne se sachant même pas atteint de la maladie. Mais puisque les cancers ne sont pas tous égaux et se traitent différemment, savoir précisément de quelle sorte de tumeur on est atteinte est crucial pour la suite des choses.

Hier, le ministre a annoncé qu'il produirait en mars prochain un «plan global» pour que les 58 labos québécois resserrent les normes qualitatives de leurs analyses pathologiques.

D'ici au mois de mars, combien de femmes apprendront qu'elles souffrent d'un cancer du sein?

Au Québec, toutes les 90 minutes environ, une femme apprend qu'elle est atteinte de la maladie, puisqu'il y a 6000 nouveaux cas par année. En outre, 1400 femmes en mourront. Ces chiffres sont beaucoup moins dévastateurs qu'avant puisque, maintenant, le taux de survie à la maladie est de 87%.

Mais ce cancer demeure encore et toujours le tireur embusqué qui vole aux familles des jeunes et des grands-mères, de petites soeurs et de proches cousines, de meilleures amies et beaucoup de grands amours.