Lorsque j'ai entendu parler de cette histoire de déneigement remis de 24 heures dans quelques rues d'Outremont, pour cause de sabbat, mon premier réflexe a été de me demander s'il y avait aussi dans ma rue des gens qui avaient demandé qu'on ne touche pas à la neige pendant plusieurs jours.

Ainsi s'expliqueraient les délais incroyables qui persistent hiver après hiver, me suis-je dit.

Sauf que ça ne tient pas: le fait que le déneigement ne soit pas effectué dans notre rue n'empêche pas la Ville d'installer de petits panneaux d'interdiction de stationnement, ceux qui nous obligent à déplacer la voiture continuellement pour qu'elle ne soit pas sur la route des souffleuses.

 

Or, ce n'est pas le déneigement comme tel qui dérange ceux qui pratiquent le sabbat de façon très stricte dans certaines rues d'Outremont. C'est l'obligation d'avoir à déplacer la voiture pendant cette période sacrée de 24 heures, qui va du coucher du soleil le vendredi au coucher du soleil le samedi, et où il est interdit, entre autres choses, de conduire.

Finalement, les gens des quelques pâtés de maisons d'Outremont non déneigés durant le sabbat ne le savent pas, mais ils sont plutôt chanceux: au moins, eux, ils n'ont pas à faire valser leur voiture entre les congères pendant le week-end, en quête d'un bord de trottoir déblayé et portés par le rêve d'un nettoyage efficace si souvent trahi, si souvent rompu...

Même le philosophe Daniel Weinstock, appelé à commenter cette histoire d'arrangement - ce n'est pas un accommodement raisonnable, a-t-il précisé - a confié à Radio-Canada, l'autre soir, qu'il attendait souvent lui aussi plusieurs jours avant que sa rue soit déblayée dans son quartier de Notre-Dame-de-Grâce. Donc, doit-on en faire quand même tout un plat?

Oui et non...

Les frictions entre la communauté hassidique d'Outremont et plusieurs autres citoyens ne datent pas d'hier. Quand j'ai commencé à travailler à La Presse, il y a 20 ans, on en parlait déjà amplement. Il y avait d'ailleurs eu toute une controverse pénible au sujet de la construction de synagogues dont je garde d'assez mauvais souvenirs.

À l'époque, on commençait à peine à comprendre que cette communauté ne s'intégrerait jamais, comme les autres, au reste de la société, de par sa nature même, son histoire, sa culture, sa raison d'être.

«Les Montréalais doivent comprendre qu'ils ne veulent même pas se mêler à nous», m'avait un jour lancé un juif ashkénaze libéral, ancien Montréalais déménagé en Ontario, étonné de notre incompréhension face à l'intrigant groupe outremontais.

Les juifs hassidiques vivent au sein de la société tout en étant totalement en marge. C'est vrai ici, à Montréal, comme partout. À Brooklyn, où je suis déjà allée visiter la communauté de Williamsburg, ils ont leurs propres hôpitaux, écoles, ambulances, autobus. Nous, les visiteurs, y étions de vrais touristes venus d'une autre planète.

Dans toutes les sociétés où ils sont installés, il y a des tensions. La cohabitation n'est jamais parfaitement facile. Même en Israël, les communautés hassidiques ont des accrochages avec le reste de la population juive de pratique libérale.

Depuis 20 ans, au Québec, les choses ont évolué. On comprend mieux qui ils sont, comme on s'est ouvert à la compréhension des autres communautés culturelles. Mais une constante demeure: lorsqu'il y a accrochage, l'opacité de la gestion de la cohabitation est pratiquement toujours en jeu.

Et cette opacité joue contre tout le monde. Elle irrite ceux qui ont l'impression de devoir faire des compromis. Mais elle dessert aussi ceux qui demandent ces accommodements et deviennent perçus, ensuite, comme des chercheurs de passe-droit, peu importe la légitimité ou le bon sens de leurs demandes.

L'harmonie requiert transparence et écoute de toutes parts.

Et elle requiert aussi que l'on sache tout ce qui se passe avec ces demandes, qu'elles soient acceptées ou rejetées.

Le coprésident de la commission Bouchard-Taylor, Gérard Bouchard, a expliqué à ma collègue Agnès Gruda, en octobre, que durant les cinq dernières années, la moitié des demandes adressées aux commissions scolaires ont été rejetées. Il faut que les institutions et organismes qui disent non le rendent public, sans se soucier de l'image qui est ainsi projetée.

Car le non n'est pas nécessairement signe d'intolérance.

Pour cette histoire de neige, par exemple, il y a lieu de se poser la question: pourquoi ne peut-on pas tout simplement dire à ceux qui respectent très strictement le sabbat de demander à des amis ou voisins non orthodoxes de déplacer leur voiture à leur place, comme ils le font pour une foule d'autres choses?

Peut-être n'est-ce pas nécessaire de faire cet arrangement?

Et serait-ce si grave de ne pas accepter ce compromis? Serait-ce intolérant de déneiger promptement le samedi, si une majorité de résidants d'Outremont le demandait?

Pour que les vraies intolérances soient traitées avec tout le respect et la délicatesse qu'elles méritent, il faut savoir les voir là où elles sont vraiment.