Connaissez-vous la fée du papier hygiénique?

C'est un personnage inventé par la journaliste britannique Alison Pearson, auteur de Je ne sais pas comment elle fait.

Axé sur les problèmes loufoques d'une femme de carrière du monde de la finance aux prises avec de sérieux problèmes de conciliation travail-famille, ce roman est rapidement devenu un best-seller à sa sortie en 2002. Dès la première page, on comprend qu'on va rire à souhait des tentatives chaotiques de l'héroïne Kate pour être parfaite sur tous les fronts: il est 1 h du matin et elle est dans sa cuisine à triturer des tartes congelées du supermarché pour leur donner un air «fait maison».

Dans le livre, donc, Kate explique que son mari croit à la fée du papier hygiénique. Ou du moins, c'est ainsi qu'elle interprète son ignorance de la nécessité de remplacer les dits rouleaux quand ils sont vides.

Que vous parliez à des mères de Madrid, Albuquerque, Clermont-Ferrand ou même Copenhague, en fait que vous parliez à des mères, point, peu importe où dans un pays industrialisé, vous avez de bonnes chances que rapidement la conversation finisse par tourner autour de ce genre d'anecdotes, racontées en riant.

Il y a celle de la fée qui essuie les comptoirs une fois que tout le monde est couché (après avoir travaillé à l'ordi toute la soirée ou être rentrée d'un quart de travail de nuit). Il y a la magicienne qui s'assure que les vêtements d'hiver sont prêts en décembre (en même temps qu'elle veille à envoyer des cartes de Noël à tous les actionnaires). Parfois on parle aussi de la gentille sorcière qui s'assure que les enfants aient des cadeaux (emballés) à apporter aux anniversaires (en même temps qu'elle se prépare à postuler pour une promotion), cousine de celle qui s'occupe d'inscrire tout le monde à l'école, chaque année (pendant qu'elle fait sa planification quinquennale)...

En fait, je me demande parfois si J.K. Rowlings n'a pas conçu toute sa série de Harry Potter en disant un jour à son enfant, «tu sais, il n'y a pas de fée qui range tes chaussettes durant la nuit», avant de retourner le concept à l'envers, pour inventer un monde où la vaisselle se lave toute seule.

En 2009, l'Internationale n'est pas socialiste, mais lie plutôt des mères de partout cherchant des solutions à la combinaison concrète d'une carrière et d'une famille. Et au réel partage de la responsabilité familiale.

Car ce partage n'est pas encore total. Il s'améliore, il avance. Mais la «charge mentale», cette responsabilité de s'assurer que la vie de la famille roule sans heurts et que toutes les tâches ménagères soient accomplies, que ce soit par elles, leurs conjoints, ou des tierces personnes, demeure majoritairement celle des femmes. Même dans les pays scandinaves, pourtant très progressistes, les mères demandent encore haut et fort, comme dans les années 70, que les pères cessent d'«aider» pour «partager», un concept-clé.

«Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes?» scandaient les militantes féministes dans les rues de Paris dans les années 70.

En 2009, peut-être crieraient-elles: «Travailleurs de tous les pays, qui s'assure que vos chaussettes soient lavées?»

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La complexe question de la conciliation travail-famille est au coeur de la nouvelle étude Le marché du travail et les parents, rendue publique hier par l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Cette étude en dit long sur l'évolution de notre société. Sur ce qu'on a fait et ce qu'il reste à faire.

On y apprend, par exemple, que la participation des femmes au marché du travail a bondi en 30 ans, pour passer de 36% à 81%, une donnée remarquable. Le travail, c'est en effet l'indépendance financière, c'est la sortie de la pauvreté.

L'économiste de l'UQAM Pierre Fortin a rendu publique l'an dernier une recherche qui démontrait plus précisément qu'entre 1996 et 2006, donc durant les 10 premières années des «garderies à 7$», le pouvoir d'achat des mères seules avait grimpé de 30%. Voilà ce qu'on appelle du progrès social.

Ce que la recherche de l'ISQ montre aussi toutefois, c'est que l'arrivée d'enfants n'a pas le même impact sur l'emploi des hommes et des femmes.

Durant le coeur des années «familles», quand les femmes ont entre 25 et 44 ans, leur taux d'activité traîne derrière les hommes et tombe encore plus lorsqu'arrive un troisième enfant alors que pour les pères, les statistiques restent stables, peu importe le nombre de petits.

De la même façon, ce sont les mères, très largement, qui continuent, quoi qu'il en soit, d'occuper les postes à temps partiel. Entre 1976 et 2008, on est passé de 27% à 19%. Claire diminution. Mais chez les hommes, en 2008, le taux n'atteignait pas les 4%.

Malgré toutes les formidables améliorations qu'ont apportées nos politiques familiales, les mères continuent donc d'être celles qui ajustent leur carrière, comme s'il n'y avait pas de division réellement étanche entre leurs vies familiale et professionnelle, la frontière fluctuant sans cesse pour accommoder tout le monde.

Peut-être est-ce parce que les mères, elles-mêmes, ne veulent pas avoir à choisir et cherchent à tout accommoder: enfants, carrière et pas nécessairement un emploi qui avale tout leur temps.

Mais peut-être est-ce aussi, parce qu'elles n'ont pas encore vraiment le choix.