«Le voile?»

Quand j'ai posé la question au début de la semaine à l'historienne française Florence Montreynaud, la réponse est arrivée avec un aplomb que l'on voit rarement au Québec.

«Le voile ? Le voile est un symbole de soumission. On ne peut pas approuver le port du voile.»

Pas de tergiversations. Pas de «bien que...» ou de «cela dit...».

«Le voile est un symbole d'oppression, ajoutera-t-elle plus tard dans la conversation. S'il y en a que les cheveux des femmes dérangent, ils n'ont qu'à mettre un bandeau sur leurs yeux. C'est leur problème.»

Mme Montreynaud, de passage à Montréal pour participer au colloque de l'UQAM sur les 20 ans de la tuerie de Polytechnique, n'est pourtant pas une militante de droite. Soixante-huitarde assumée, elle est plutôt une des figures féministes françaises les plus articulées quand vient le temps de remettre l'Église catholique à sa place et dire tout haut, la plupart du temps avec beaucoup d'ironie, l'exaspération que bien des femmes gardent pour elles de peur de choquer.

Historienne, c'est à elle que l'on doit notamment le tout nouveau Un siècle d'amour ainsi que Le XXe siècle des femmes, l'incontournable et magnifique encyclopédie illustrée des accomplissements féminins du siècle dernier parue à la fin des années 80. Il y a un peu plus de 10 ans, elle a aussi fondé Les Chiennes de garde, un groupe humoristique qui surveille tout ce qui se dit de macho dans les médias en France, et fait les manchettes en remettant, par exemple, des grands prix rigolos aux auteurs des pires inepties ou alors en répondant par le rap aux rappeurs à la dérive.

Mme Montreynaud réfléchit donc à la condition féminine depuis longtemps et ne peut certainement pas être accusée d'insensibilité à l'intolérance vécue par les musulmanes voilées dans nos sociétés. Juste pour vous donner un exemple, c'est le genre de femme qui a décidé, une fois ses enfants devenus assez grands, d'arrêter de payer une immigrante pour nettoyer sa maison, comme tant de femmes occupées le choisissent. À la place, elle a entrepris de saisir le torchon par les cornes, elle-même. Plus question de déléguer. «Faire le ménage soi-même ou accepter qu'une autre personne le fasse à sa place est une décision politique, dit-elle. Surtout pour les choses dégoûtantes.»

Ses réflexions sur le sort réservé aux immigrées ne l'empêchent pas d'avoir une position ferme et limpide sur le voile : ce n'est pas qu'un symbole culturel ou religieux, à accepter comme bien d'autres au nom de l'intégration et de l'acceptation. C'est surtout un symbole de soumission, d'inégalité. Point à la ligne.

Et, même si elle trouve que la loi française sur la laïcité va trop loin en interdisant tout signe religieux à l'école et chez les fonctionnaires notamment (elle ne voit pas, par exemple, en quoi le turban sikh dérange quiconque), l'historienne s'incline : «Elle est efficace.»

Et la décision de la Fédération des femmes du Québec de s'opposer à l'avis du Conseil du statut de la femme d'interdire le voile dans les institutions publiques ? «Consternante.»

***

Mère de quatre enfants, aujourd'hui grand-maman en pleine préparation d'un livre où elle compte faire le portrait d'une société égalitaire utopique, Mme Montreynaud est une féministe qui se définit elle-même comme «culturaliste», donc de celles qui croient que les inégalités sont le fruit de nos cultures et non prédéterminées par la biologie.

Mais on pourrait aussi la définir, surtout, comme une féministe positive.

Que ce soit par ses livres dont le but est d'inspirer les femmes à accomplir de grandes choses, par son discours joyeux, par l'humour dont font preuve ses Chiennes de garde, Mme Montreynaud déploie un grand sourire sur la vie. Pour elle, le féminisme n'est pas une bataille dont l'issue comporterait nécessairement des vaincus. C'est une marche. «Le féminisme est un humanisme», répète-t-elle. Une quête collective du bonheur, de la sérénité qu'apporte l'égalité dans les rapports humains.

C'est pourquoi, comme bien d'autres, elle est particulièrement choquée par les inégalités incrustées dans tant de religions qui ont pourtant de formidables messages de paix, en commençant par le catholicisme. «Aimez-vous les uns les autres, avouez qu'on n'a jamais fait mieux», rappelle-t-elle.

Mais cela n'empêche pas l'Église catholique d'être capable de faire preuve d'un mépris incroyable à l'endroit des femmes, poursuit-elle. Le premier grand prix du macho de l'année des Chiennes de garde a d'ailleurs été remis au cardinal-archevêque de Paris, Mgr Vingt-Trois, qui a déclaré à la radio, au sujet de la présence des femmes dans l'Église : «Le tout n'est pas d'avoir une jupe, c'est d'avoir quelque chose dans la tête.» Le religieux s'est ensuite excusé, mais cette bourde a engendré au sein de l'Église française un mouvement de femmes qui, selon Mme Montreynaud, peut maintenant jouer un rôle fondamental pour l'évolution de cette institution car il parle de l'intérieur.

De la même façon, l'historienne a un respect infini pour les rares musulmanes, comme l'auteure québécoise Djemila Benhabib, qui osent sortir des rangs et dénoncer, parfois en prenant des risques énormes pour leur sécurité, le sens politique du voile islamique. «Car si on se tait, les intégristes auront gagné», dit Mme Montreynaud.

D'ailleurs, à l'aube des 20 ans de la tuerie de Polytechnique, cette question de la sécurité des femmes ne peut être oubliée, note-t-elle. Surtout que ce ne sont plus les femmes seulement qui sont visées, mais même les hommes qui marchent avec elles. En effet, tout récemment, un documentariste belge, Patric Jean, a été contraint d'annuler un voyage au Québec où il devait présenter son film sur le masculinisme, Domination masculine, parce qu'il craignait pour sa vie.

Le problème, note-t-elle, est plus que réel et plus que grave.

Même 20 ans après le 6 décembre maudit.