On en parle depuis quelques semaines puisqu'il est déjà sorti aux États-Unis, mais c'est uniquement aujourd'hui qu'arrive finalement en salle The September Issue, le documentaire sur la rédactrice en chef du Vogue américain, Anna Wintour, réponse réalité à la fiction qu'était Le diable est habillé en Prada.

Tourné durant la production du numéro de septembre 2007 de Vogue, donc tout juste avant que le système financier américain ne lâche aux coutures, The September Issue est un drôle de film qui se transforme en se déroulant.

 

On croit d'abord que le long métrage réalisé par RJ Cutler (qui a aussi filmé The War Room) est essentiellement sur Mme Wintour et toute la mythologie qui entoure le redouté personnage. Toutefois, il devient rapidement aussi un portrait de la rédactrice mode du magazine, Grace Coddington. Cette ancienne mannequin devenue styliste, embauchée en même temps que Wintour, est, illustre-t-on, la réelle artiste derrière le style Vogue, celle qui donne à la célèbre publication tout son style à la fois raffiné et avant-gardiste.

Et puis plus le temps passe, plus The September Issue documente la dynamique entre Coddington et Wintour et les frustrations que la patronne impose à son bras droit même si elle trouve que c'est un génie. Rendu à la moitié du film, on en vient à se demander si on en apprendra pas plus sur les gens qui doivent se taper le caractère hautain et glacial de la rédactrice en chef que sur la femme d'affaires qui a su rester à la tête de la publication pendant 20 ans et participer activement à la création de l'univers combien tordu mais efficace commercialement des grandes marques de mode actuelles.

Toutefois, passé ce cap, on réalise en fait qu'on est là pour comprendre la complexité des mécanismes de création qui font que Vogue est Vogue et à quel point autant le génie de Coddington que l'intransigeance et le perfectionnisme de Wintour, le tout combiné au travail toujours poussé plus loin des innombrables stylistes, photographes et éditeurs, sont au centre du fonctionnement de la grande publication.

Wintour, à un moment, explique qu'une de ses plus grandes qualités est de ne pas avoir peur de trancher. Et c'est sur ce concept que le film fait le point : cette idée qu'il faut trancher, décider, couper, éditer, lorsqu'on crée quelque chose, quitte à passer pour un génie pour les uns ou une personne d'une immense inhumanité pour d'autres.

Un documentaire sur Martha Stewart nous mènerait probablement aux mêmes conclusions. Ou un autre sur Karl Lagerfeld ou Lars Von Trier.

On a fait grand cas, dans le buzz média qui a précédé la sortie du film, de la décision de Wintour, à un moment, de supprimer une photo qui a probablement coûté environ 50 000$ à réaliser. Que tant d'argent soit consacré à la commercialisation de la mode par des mannequins proposant des idéaux corporels sinistrement irréels est en soi un scandale, oui. Que dans cet univers créatif on décide de tasser un résultat non satisfaisant, ne l'est pas.

On ne bâtit pas un magazine comme Vogue en ayant peur de dire non ou de blesser. En fait, semble ajouter le film, on ne bâtit rien sans tracer de ligne et être prêt à la défendre. «N'aie pas peur d'être exigeant car sinon, si ça ne marche pas, c'est toi qui seras blâmé «, lance à un moment Coddington à un jeune éditeur.

Finalement, The September Issue n'est pas tant un film sur Anna Wintour qu'un regard porté sur une incarnation caricaturale de l'art d'être tout sauf adorable, mais en même temps furieusement intègre et efficace.