Voici, en gros, ce que le directeur de la planification urbaine d'une grande ville américaine avait à dire, lundi, en conférence, à l'Université McGill. Ses conseils, pour toute ville voulant se développer pour le mieux, sujet crucial en ces temps électoraux...

A. Il faut parfois faire des gestes qui vont contre l'opinion de la majorité. Un référendum vous dit: reconstruisez ceci. Vous devez être prêt à dire: non, on construit autre chose.

 

B. Souvent, il faut que villes et planificateurs urbains créent des alliances avec les promoteurs immobiliers. «Il faut en faire vos amis», a-t-il dit aux gens venus l'entendre, entassés dans l'auditorium universitaire.

C. Il n'y a pas que les parcs, dans la vie. Construire des immeubles où on peut loger des bureaux et des appartements, c'est aussi très bien. Cela fait partie d'une très saine et nécessaire évolution urbaine.

D'où sort-il, celui-là? demandez-vous.

De Houston? De Dallas?

D'une bourgade gonflée aux stéroïdes fichée dans un État rouge conservateur, prête à tout pour encourager la construction de McCondos et bouder les trottoirs?

Pas du tout.

Le gars qui parlait ainsi, lundi soir, devant une foule compacte d'étudiants et de spécialistes en urbanisme, ce gars invité par le Centre d'écologie urbaine de Montréal, c'est John Rahaim, directeur de la planification urbaine à San Francisco. Et avant son embauche dans cette ville ultra-progressiste, il était à Seattle, elle aussi portée pas mal plus sur le vert que sur le VUS...

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la ville idéale de M. Rahaim n'est pas exactement remplie de Hummer. Je dirais qu'il la voit plutôt pleine de verdure, de quartiers mixtes où l'on peut marcher de commerce en commerce, du bureau à la maison, de rues où circulent des autobus et des tramways, de fronts de mer piétons...

Sauf que cette ville, nous a-t-il expliqué, ne sort pas de nulle part et ne vit pas d'air pur et d'eau fraîche. Pour se donner les moyens d'être moderne, écolo, vibrante et vivante, elle a besoin de densité. Elle ne peut pas vivre seulement dans les parcs. Elle a besoin de condos et de bureaux aussi. D'anciens immeubles rénovés. Mais aussi de nouveaux.

Car c'est la densité qui apporte la vie à la ville. C'est elle qui, en augmentant l'activité urbaine et en renforçant donc les assises fiscales de la cité, lui permet de financier ses infrastructures, à commencer par ses transports en commun, son entretien, ses parcs, son développement...

«Encourager la densité dans une ville, c'est une évidence, cela doit être une priorité absolue», dit-il.

Pensez Paris, Londres, New York... Dense, dense, dense...

Au lieu de grincer des dents à chaque nouvelle construction, chaque fois qu'un parking se transforme en immeuble d'appartements plutôt qu'en parc, il faut se dire qu'on amène des gens à travailler ou à habiter en ville. Des gens qui paieront des taxes, des gens qui consommeront en ville, des gens qui, s'il n'y a plus de parking, auront plus envie de prendre les transports en commun...

«Ce qu'il ne faut pas perdre de vue lorsqu'on parle de densité, c'est qu'il faut des transports en commun pour l'accompagner et l'encourager», note le planificateur urbain.

Augmenter la densité d'une ville ne peut se faire si on attache une voiture à chaque nouveau résidant. Il faut penser métro, autobus, tramway... Le projet doit être double, note M. Rahaim. «C'est comme la poule et l'oeuf. Il faut faire les deux en même temps. Et pour cela, il faut aussi penser régionalement...»

Et à travers tout cela, ajoute-t-il, il faut arrêter de voir les constructeurs immobiliers comme de gros méchants. Oui, il faut insister pour que les projets soient de qualité, écolos, socialement sensés - la ville ne peut survivre sans logements à prix modiques. Oui, il faut exiger de l'architecture et du design «de haute qualité».

Mais il faut aussi comprendre qu'ils sont incontournables. «Le fait est que ce sont eux, dit-il, les promoteurs immobiliers privés, qui construisent la majorité des projets.»

L'autre idée intéressante que le planificateur est venu semer en terre montréalaise, c'est que, parfois, il faut être capable de passer par-dessus l'opinion publique, défier les critiques. «Il faut être prêt, dit-il, à prendre des risques pour les projets qui le méritent vraiment.»

Il cite ainsi l'exemple de la Ville de San Francisco, qui n'a pas écouté la majorité lorsqu'un référendum a été tenu sur la reconstruction de l'autoroute urbaine sur pilotis Embarcadero. Cette autoroute, détruite durant le tremblement de terre de 1989, passait le long de la baie, au bord de l'eau, entre les quais et la ville. Et la majorité voulait qu'elle soit reconstruite.

À la place, un boulevard a été aménagé, des palmiers ont été plantés, l'interface entre le port et la ville a été rétablie et une grande place a été organisée où se tient maintenant un marché bio.

Nouveaux gratte-ciel, marchés bios... En fait, ce que nous a expliqué M. Rahaim, c'est que verdir une ville peut être autant en arracher l'asphalte que la reconstruire en hauteur. Et que parfois, oui, il faut détruire des autoroutes et réinvestir dans les transports en commun à la place. Mais que cela ne peut se faire si, en même temps, on ne veille pas à la densification du centre. À sa vie, quoi.