Spectre de corruption à faire disparaître, structure administrative à revoir, plan de transport intégré à repenser... La liste des défis auxquels la ville de Montréal doit faire face est longue et ardue. En attendant, pourquoi ne pas commencer par de petites choses, de petites transformations peu coûteuses qui peuvent, dès à présent, changer le visage de la ville? Pendant la campagne électorale municipale, la chroniqueuse Marie-Claude Lortie rencontre des Montréalais amoureux de leur métropole qui nous font part de leurs idée pour transformer la cité. Aujourd'hui, l'architecte Paul Bernier.

Paul Bernier, architecte, habite une rue tout en béton du Plateau. Trop étroite pour accueillir des arbres, elle est chauve comme une venelle de Naples, sans les cordes à linge.

 

Qu'importe. Devant chez lui, de grosses plantes charnues poussent dans une languette de terre coincée entre le trottoir et le mur des fondations.

Ailleurs dans la rue, quelques autres proprios ont fait la même chose. Parfois avec des fleurs, parfois avec de grosses feuilles aux airs tropicaux. Des micro-jardins volés au macadam.

On est loin du cours Mirabeau, à Aix, avec ses platanes majestueux. On n'est pas dans une belle rue plantée d'érables à Outremont. On n'est même pas sur ce tronçon de la rue Isabella, à Côte-des-Neiges, vous savez, juste à l'ouest de la rue Lavoie, où il n'y a que de magnifiques cerisiers japonais qui fleurissent tous en même temps.

Mais elle est un peu plus jolie que les autres rues chauves, l'allée bien asphaltée de M. Bernier, quand on la regarde en s'attardant à la verdure qui s'y faufile entre deux dalles ou deux planches ou coule d'un balcon.

On croirait cette rue du Plateau en train de s'adoucir, de s'arrondir...

«Verdir, simplement, ce n'est pas révolutionnaire, ce n'est pas compliqué, ça ne coûte pas cher», résume l'architecte.

«Avec seulement un petit peu de terre, on change déjà l'allure de la façade», dit-il. Et une façade à la fois, on change la rue.

Selon lui, si on voulait embellir Montréal, on devrait tous s'armer de marteaux-piqueurs. Ou presque. Et se mettre à défricher le bitume pour mieux planter. Partout où on le peut.

«Il y a tellement de petits coins où on peut semer, et on n'y pense même pas. C'est bon contre le ruissellement de l'eau de pluie, pour la qualité de l'air, c'est beau, ça rafraîchit...»

Bref, vous savez ce qu'on fait pour les toits verts, comme celui que Paul Bernier a installé sur la rallonge de sa maison du Plateau, projet de rénovation et de reconstruction résidentielle qui lui a valu cette année le prix Marcel-Parizeau, reconnaissance prestigieuse remise par l'Ordre des architectes du Québec?

Eh bien! Tous ces beaux principes s'appliquent aussi au sol. Alors en plus de s'occuper de verdir les toits, pourquoi ne pas aussi essayer de verdir le plancher des vaches? propose Bernier.

Un potager dans une cour d'école asphaltée, un jardin là où il y avait jadis un parking, des fougères dans un coin solidement bitumé par d'anciens propriétaires qui trouvaient que ça faisait «plus propre»...

Et les voitures, on les met où, alors, s'il faut tout transformer en jardin?

«Il y a moyen de recouvrir le sol afin qu'il soit à la fois poreux et assez solide pour qu'on puisse y garer la voiture», explique celui qui conduit une Prius (modèle de Toyota hybride) dans les rues de Montréal.

On choisit alors des dalles que l'on pose de façon assez espacée pour que des mousses s'y glissent, voire du thym très court... L'asphalte et le pavé uni ne sont pas les seules options.

«L'autre avantage des sols de terre et de la verdure, c'est sur l'acoustique», note l'architecte. Les sons rebondissent moins, les rues se calment. Et en plus, les plantes font revenir les oiseaux...

Ça se fait déjà ailleurs

Plusieurs grandes villes nord-américaines progressistes ont déjà adopté des mesures destinées à encourager les citoyens à se débarrasser de leur asphalte et de leur ciment et à inciter le retour de la terre et de la verdure en ville. Et ce n'est pas uniquement pour des raisons esthétiques.

À Seattle, par exemple, il y a depuis 2001 un programme appelé SEA (Street Edge Alternative), qui consiste à rendre aux rues leur porosité. L'objectif: contrer le ruissellement de l'eau de pluie. Pourquoi? D'abord pour alléger la charge des réseaux d'égout et des systèmes d'épuration. Ensuite, en allant dans la terre, l'eau reprend son chemin normal, avec tous les mécanismes de filtration prévus par la nature! Et puis l'eau retourne ainsi rapidement dans le sol, donc sans parcourir les rues d'asphalte ou de ciment, sans causer d'érosion en chemin et sans ramasser toutes sortes de polluants sur sa route.

Selon la Ville de Seattle, lorsqu'une rue est réorganisée selon les principes du programme SEA, seulement 1% de l'eau de pluie finit dans les égouts.

Quand on sait à quel point certaines rues de Montréal deviennent de véritables piscines quand il y a de fortes pluies comme on en connaît de plus en plus, quand on sait comment certaines bouches d'égout deviennent des fontaines giclantes quand le réseau déborde, l'idée de rendre aux rues leur terre et leur verdure apparaît alors loin de la coquetterie.

À quand le crédit d'impôt foncier pour arrachage d'asphalte?