Mardi soir, à Bridgeville, en banlieue de Pittsburgh, muni de quatre armes à feu cachées dans un grand sac noir, un homme est entré dans une salle de gym où avait lieu une classe de danse aérobique. Il a fouillé dans son sac pendant quelques instants, seul gars dans cet espace rempli de femmes venues faire de l'exercice au rythme de musiques latines. Puis il a éteint la lumière et s'est mis à tirer. Sans dire un mot, il a fait feu. Une cinquantaine de balles.

Trois femmes sont mortes.

Neuf ont été blessées, dont certaines gravement, y compris l'instructrice, enceinte. Et puis le tireur, George Sodini, 48 ans, informaticien de métier, s'est suicidé.

 

L'Amérique venait encore une fois d'être le théâtre d'une tuerie.

M. Sodini ne s'est pas rendu dans une école, ni dans un bureau de poste, ni dans une salle remplie de programmeurs en train de taper devant leur écran d'ordinateur pour donner libre cours à son délire assassin. Il s'est rendu chez L.A. Fitness, un centre de conditionnement physique, dans une salle remplie de femmes. Ce n'est pas un hasard du tout, comprend-on en lisant le terrifiant blogue personnel qu'il a laissé derrière lui. M. Sodini avait un problème avec les femmes.

Depuis neuf mois, Sodini préparait en effet son geste en écrivant régulièrement ce qui lui passait par la tête sur un site web personnel. On y apprend toutes sortes de choses sur sa vie - il était adepte de musculation et de bronzage en cabine - et sur ce qui se passait dans sa tête. Il dit ce qu'il pense de sa famille et même d'Obama. Il explique qu'il a essayé de commettre le même geste plus tôt, mais n'en a pas été capable...

Mais en lisant ses textes, on comprend surtout qu'il était profondément déprimé et était convaincu que l'avenir lui apporterait encore moins de bonheur que le présent ou le passé. Et on saisit qu'il avait décidé de blâmer les femmes pour ses malheurs et cette absence totale de goût de vivre. Pas toutes les femmes, mais presque, ou plutôt toutes celles qui ne voulaient pas de lui et refusaient ses avances.

Et selon ses estimations, «30 millions» de femmes l'avaient rejeté. Et c'est pour cela qu'il n'avait pas connu l'intimité d'une femme depuis 19 ans.

«Flying solo for many years is a destroyer», écrit-il. «Vivre en solo détruit.» «Un homme a besoin d'une femme pour avoir confiance en lui.»

En lisant le blogue, où le tueur parle en détail de sa non-vie sexuelle et de ses échecs et qui suinte de son idée insensée que la clé du bonheur réside dans la séduction d'une femme irréelle, on comprend que les filles croisées au gym incarnaient tous les fantasmes de cet homme profondément déprimé et frustré. «Les jeunes filles ici sont tellement belles, écrit-il, qu'on ne les dirait pas humaines, très comestibles.»

Incapable de les charmer, Sodini a préféré les tuer. Et se faire connaître du même coup.

Un cocktail fou à l'américaine mélangeant une quête impossible et hallucinée de sexe, de beauté, de célébrité...

Selon la police, le blogue est authentique. Selon moi, il est presque banal. Pas banal dans ce qu'il dit, mais banal parce que le modèle du délire meurtrier se répète. Comme à Columbine, comme à Virginia Tech, comme à Dawson, l'assassin laisse des indices, des signes précurseurs. Dans ce cas, il fait carrément allusion aux gestes qu'il entend commettre, mais parle surtout de son mal-être. Il distribue les pistes, mais on ne les voit pas. Le tireur se perd dans sa maladie mentale sans que personne le remarque.

Pourtant, Sodini n'était pas un homme isolé. Il travaillait à titre de programmeur dans une entreprise où il côtoyait apparemment des collègues. Il affirme même dans son blogue qu'il a eu une promotion à la fin de juillet. Toutes sortes de gens ont passé du temps avec ce gars-là et ne se sont aperçus de rien.

À force de vouloir laisser les gens tranquilles, de respecter la vie privée de chacun, de ne pas nous mettre le nez dans les affaires des autres comme on faisait autrefois dans les villages, sommes-nous en train de perdre notre capacité d'aider, de sentir quand ça déraille?

Le tueur savait qu'il s'adressait au public et à un public large qui finirait par le découvrir dans la mort. À la fin de son blogue, il explique qu'il sait très bien qu'on lira ses textes et qu'on tentera de comprendre, comme on le fait maintenant. «Certaines personnes aiment étudier ces trucs, écrit-il. Peut-être que cela fera un peu de lumière sur les raisons qui font que certains n'arrivent pas à réaliser leur vie et que cela pourra en aider d'autres.»

Maintenant, à nous de nous demander, encore une fois, comme chaque fois qu'il y a une telle tuerie, comment faire pour entendre et voir ces êtres souffrant de maladie mentale avant qu'ils entraînent avec eux autant de gens dans la mort.